Quelles conséquences en matière de contrôle et de concurrence de la restriction du cercle des investisseurs éligibles pour les L-QIFs immobiliers?

02/03/2023

Philippe Zufferey, Jean-Yves Rebord

BCV, Python

7 min

L’exclusion des investisseurs privés et des PME du cercle des investisseurs éligibles pour les L-QIFs immobilier pourrait engendrer des distorsions de concurrence, en particulier sur le marché de la construction et imposera dans tous les cas à leurs promoteurs de connaître parfaitement tous ses client.e.s

 

Avec la fin du processus de consultation relatif à l’ordonnance sur les placements collectifs de capitaux, on peut raisonnablement s’attendre à ce que les premiers L-QIFs soient lancés en 2025 (cf. notre article du 8 février 2023). Pour des raisons fiscales, Le cercle des investisseurs éligibles pour les L-QIFs immobiliers a été restreint. Une décision prise en pleine pandémie qui n’est pas sans conséquence sur les contrôles nécessaires à son respect et en matière de concurrence.
 

À l’origine du projet, l’immobilier se présentait comme l’une des classes d’actifs susceptibles de plus profiter du nouveau régime L-QIF. Cette perspective avait suscité un réel enthousiasme dans le microcosme de la titrisation immobilière, qui voyait notamment là une possibilité de structurer des portefeuilles de moindre importance dans un marché de plus en plus difficile. Il faut rappeler que, malgré les progrès sensibles réalisés ces dix dernières années, le taux de titrisation immobilière demeure en Suisse très largement en deçà de celui que l’on trouve dans d’autres pays européens. Le Conseil fédéral partageait, lui aussi, un certain enthousiasme dans son message aux Chambres fédérales et toute l’industrie s’est prise à croire que la place financière suisse se doterait d’un instrument réellement concurrentiel par rapport aux RAIFs immobiliers luxembourgeois dont le succès n’est plus à démontrer. 
 

Mais, le COVID est arrivé avec ses malheureuses conséquences sanitaires et financières qui ont pesé lourdement tant sur le système de santé que sur le budget des collectivités publiques. Comme la détention d’un immeuble par un L-QIF promettait un régime fiscal plus favorable que la détention en nom ou en société anonyme, la bienveillance politique du début pour le projet a cédé le pas aux légitimes préoccupations budgétaires du moment. Au final, le législateur a préféré exclure les investisseurs privés et les petites entreprises des L-QIFs plaçant leurs avoirs dans l’immobilier direct pour prévenir d’éventuelles pertes de recettes fiscales. 
 

Le cercle des investisseurs éligibles
 

Tout d’abord, il faut bien préciser que le régime instauré pour les L-QIFs ne catégorise pas les produits selon la segmentation habituelle «fonds en valeurs mobilières», «autres fonds en placements traditionnels et alternatifs» ou «fonds en valeurs immobilières». Il fixe des règles particulières en fonction des sous-jacents dans lesquels ils sont investis. Ainsi, il n’existera pas de L-QIFs immobiliers à proprement parler, mais seulement des L-QIFs investissant exclusivement ou partiellement dans des immeubles.
 

Dès qu’un L-QIF investit directement dans un immeuble, c’est-à-dire sans l’intermédiation d’une autre structure comme une société immobilière, le cercle de ses investisseurs éligibles est obligatoirement limité à la clientèle professionnelle au sens de l’article 4 alinéa 3 lettres a à h de la loi fédérale sur les services financiers. Il s’agit donc exclusivement des investisseurs suivants: (i) les intermédiaires financiers surveillés comme les banques, les maisons de titres, les directions de fonds, les gestionnaires de fortune, (ii) les entreprises d’assurance, (iii) les banques centrales, (iv) les établissements de droit public, les institutions de prévoyance disposant d’une trésorerie professionnelle, et (vi) les grandes entreprises et celles disposant d’une trésorerie professionnelle. 
 

Tout investisseur privé, qu’il soit qualifié par sa fortune, par ses connaissances ou par son mandat le liant à un gestionnaire de fortune, ne pourra pas investir valablement dans un L-QIF détenant directement ne serait-ce qu’un seul immeuble. Il en ira de même pour les structures d’investissement qui lui sont dédiées, type family office, holding ou autres véhicules ayant les mêmes fonctions, et lorsque l’investisseur est une PME. Dans le cas où un tel investissement est réalisé par un investisseur non éligible, le L-QIF perdra son statut et devra se soumettre à la surveillance de la FINMA ainsi qu’aux règles de placement ordinaires. Il risque par ailleurs, tout comme les investisseurs, une requalification fiscale. 
 

Les contrôles à mettre en place
 

Une infraction aux cercles des investisseurs éligibles peut engendrer de graves conséquences pour les L-QIFs qui investissent directement dans l’immobilier. Ainsi, il faudra assurément mettre en place un système de contrôle qui puisse permettre à la direction du L-QIF de s’assurer qu’aucune personne non éligible n’a acquis des participations et, au besoin, de pouvoir le justifier. 
 

Des solutions existent déjà pour les fondations de placement dont les membres sont uniquement des caisses de pensions ou pour les sociétés immobilières qui doivent pouvoir démontrer l’absence de domination étrangère au sens de la LFAIE. Dans ce cadre, on ne voit pas que les L-QIFs organisés sous la forme de SICAV puissent véritablement émettre des actions pour les investisseurs au porteur. On peut même se demander si la forme d’un fonds de placement contractuel sera tout simplement possible dès lors qu’aucun registre des porteurs ne doit être tenu de par la loi. Par ailleurs, le négoce des participations dans un L-QIF investissant dans l’immobilier ne pourra à l’évidence pas s’opérer en toute liberté. 
 

Dans ce cadre, les banques dépositaires auront certainement un rôle central à jouer, non seulement au niveau du marché primaire de l’émission qu’elles sont habituées à gérer, y compris sous l’angle de la réglementation relative à la lutte contre le blanchiment d’argent, mais également au niveau du marché secondaire qu’elles assurent généralement pour les placements collectifs immobiliers ordinaires. En tous les cas, la tenue du registre des investisseurs d’un L-QIF pouvant investir directement dans l’immobilier constituera un élément majeur à surveiller sous l’angle de la compliance et de la gestion des risques. 
 

Quelques conséquences sur le plan concurrentiel
 

Comme indiqué plus haut, les L-QIFs jouiront du même statut fiscal que les fonds immobiliers traditionnels. Ainsi, les revenus et les gains en capitaux réalisés sur des immeubles détenus en propriété directe seront taxés uniquement au niveau du fonds sans impôt anticipé et à un taux préférentiel. D’autre part, les L-QIFs pourront réaliser des promotions immobilières ou des projets de développements immobiliers dès lors qu’ils disposent d’au moins deux investisseurs éligibles indépendants. La restriction du cercle des investisseurs éligibles pourrait donc créer une distorsion de la concurrence, en particulier sur le marché de la promotion. En effet, un consortium de deux grandes entreprises dont la trésorerie est gérée à titre professionnel pourrait constituer un L-QIF pour (faire) réaliser une promotion dont les bénéfices seront taxés de manière préférentielle par rapport à la situation qui prévaudrait si ladite promotion avait été réalisée par des personnes physiques ou de petites ou moyennes entreprises privées du secteur de la construction. 
 

Certaines structures étrangères de placements collectifs pouvant être lancées sans autorisation, à l’instar des RAIFs luxembourgeois, ne connaissent pas de restriction du cercle des investisseurs qualifiés. Lorsqu’ils investissent directement dans de l’immobilier commercial en Suisse, ces véhicules sont traités fiscalement comme des fonds immobiliers suisses indépendamment de la domiciliation et de la typologie des investisseurs. Sur le marché de l’immobilier commercial, la restriction du cercle des investisseurs éligibles pour les L-QIFs suisses conduit donc à une distorsion de la concurrence en faveur de certaines structures étrangères, ce qui est tout de même paradoxal comme résultat d’un projet dont le but initial était de les concurrencer. 
 

Conclusions
 

À l’instar des SICAV lancées en 2007 à la veille de la crise financière des subprimes, les L-QIFs immobiliers sont mal nés en pleine crise du COVID. Il aura fallu une quinzaine d’années aux SICAV pour se remettre de leur naissance difficile. Ce n’est qu’aujourd’hui qu’elles supplantent les fonds immobiliers contractuels. 
 

Les L-QIFs immobiliers pourraient connaître une enfance similaire, car la restriction du cercle des investisseurs, qui leur a été imposée pour des raisons conjoncturelles, peut considérablement limiter leur développement et poser des risques qui ne seront pas simples à gérer sans l’intervention diligente des banques dépositaires pour ce qui concerne l’identification des participants et le négoce des parts. 
 

Cette restriction peut en outre induire une distorsion concurrentielle entre les acteurs suisses, en particulier sur le marché de la promotion, qui semble très difficile à justifier sauf pour les caisses de pensions. Cette restriction peut en plus engendrer un désavantage comparatif pour les L-QIFs par rapport aux RAIFs luxembourgeois sur le marché de l’immobilier commercial. 
 

Puisse le législateur suisse trouver rapidement un vaccin à ces maladies de jeunesse. 


 

Philippe Zufferey,
Responsable de la banque dépositaire,
BCV
 

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Jean-Yves Rebord,
Associé,
Etude Python


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