La pénurie de logement approche

10/04/2023

Immoday

Olivier Toublan

6 Min

En Suisse, le besoin de nouveaux logements pour accueillir l'augmentation constante de la population est important. Et comme, au niveau législatif et administratif, les freins restent nombreux, on court à la catastrophe. La pénurie devrait déjà arriver en 2024. 

 

Depuis deux ans environ, l'activité de la construction est à la baisse dans notre pays, ce qui risque d'entraîner une pénurie de logements dans les années à venir, assurent les experts de Credit Suisse dans une étude publiée récemment. "Le changement de paradigme voulu en matière d’aménagement du territoire mise sur la densification, mais les conditions nécessaires n’ont toujours pas été créées. Le besoin d’agir augmente et des mesures d’urgence vont s’imposer". 

 

Les chiffres de la pénurie qui s'annonce  
 

Voilà pour le postulat, mais la pénurie annoncée est-elle vraiment aussi problématique que le craignent certains milieux immobilier ? À l'étude des chiffres, la réponse est clairement positive. Selon les experts de Credit Suisse, au milieu des années 2010, le nombre de logements réalisés atteignait en moyenne 54000 unités. Ce chiffre a baissé à environ 45 000 en 2022. Et ce n'est pas fini, puisque le nombre de nouveaux logements planifié ces prochaines années a encore diminué et devrait s'établir à un niveau d'environ 42000 unités, selon Credit Suisse. Pour qui, d'ici à 2024, ce ne sont pas moins de 15000 logements qui feront défaut.
 

Avec comme conséquence une chute taux de vacances en dessous de 1 % dès 2024, alors qu’aucune inversion rapide de la tendance n’est en vue. "La Suisse se dirige donc vers une pénurie de logements d’une ampleur inédite depuis la fin des années 1980".

 

Un grand responsable : l’aménagement du territoire  
 

Pour les experts de Credit Suisse, les causes de cette pénurie ne sont pas à rechercher du côté financier, mais plutôt du côté réglementaire, puisque la baisse du nombre de nouvelles constructions coïncide avec l'entrée en vigueur de la loi sur l’aménagement du territoire (LAT) en mai 2014, la lutte contre le mitage et l’utilisation mesurée de la ressource sol étant devenues prooritai. Non pas que la loi soit mauvaise, mais comme souvent en Suisse, sa mise en œuvre a pris beaucoup de temps, et n'est d'ailleurs pas terminé au niveau des communes, ce qui a refroidi les ardeurs des promoteurs, la LAT révisée et sa mise en œuvre par les cantons et les communes ayant un impact direct sur la disponibilité de terrains constructibles. 
 

"Le reclassement de terrains en zone à bâtir s’est donc considérablement compliqué depuis l’entrée en vigueur de la LAT révisée". Il était même devenu temporairement impossible dans certains cantons. "Cette situation a sans aucun doute pesé sur la construction de logements et continuera de le faire dans les années à venir". 

 

Quatre actions pour accélérer la densification   
 

Pour pallier à cette pénurie qui se profile et accélérer la densification, il faut donc prendre des mesures d'urgence, ciblées qui pourraient se révéler efficaces assez rapidement. Les experts de Credit Suisse en proposent quatre, toutes intéressantes. Mais soyons réaliste, nous sommes en Suisse, et, en matière d'immobilier, il est rare que les choses se passent rapidement.

 

1. Lutter contre le maintien en réserve de terrains constructibles   
 

Comme le rappelait une récente étude de l'Office fédéral de la statistique, les terrains constructibles non utilisées sont encore relativement nombreux en Suisse. Malheureusement, ils sont souvent gardés en réserve et ne sont pas exploités par leur propriétaire, pour diverses raisons. La plus importante, selon Credit Suisse, s'explique par la politique d'imposition des gains immobiliers. En effet, le montant de cet impôt prélevé par les cantons ou les communes diminue plus la durée de détention augmente.
 

Les cantons peuvent pendre des mesures efficaces pour lutter contre cette évolution, par exemple par le biais de taxes d’incitation ou de droits d’emption. Les instruments existent, encore faut-il qu'il soient utilisés, de manière efficace et rigoureuse.
 

Pour changer radicalement et rapidement la situation, et libérer ces terrains constructibles, il faudrait, selon Credit Suisse, avant tout supprimer les incitatifs qui la favorisent, comme cette baisse de l’imposition des gains immobiliers avec la durée de détention. 

 

2. Changer les réglementation pour permettre une meilleure densification des centres  
 

Parler de densification c'est bien, encore faut-il que la législation et l'administration l'autorisent. Ce qui est souvent un parcours du combattant pour les promoteurs. Par exemple, recommandent les experts de Credit Suisse, les indices d’utilisation et hauteurs maximales de construction devraient être revus à la hausse. En outre, un bonus d’utilisation, tel que proposé dans la loi sur le CO2 rejetée, devrait être instauré. 
 

Ceci dit, les dernières statistiques montrent quand même que la densification a progressé ces dernières années. Avec, par exemple, une augmentation du nombre de logements par bâtiment, et une hausse constante du nombre moyen d'étages.

 

3. Désamorcer les conflits d’intérêt politiques  
 

Pour les experts de Credit Suisse, la densification devrait avoir priorité sur la protection du patrimoine et la lutte contre les nuisances sonores. C'est sans doute à ce niveau que la densification, pourtant acceptée dans son principe par tout le monde, rencontre le plus d'oppositions. "De nombreux acteurs plus ou moins concernés introduisent des recours et empêchent ou retardent ainsi leur réalisation". Recours et contestations qui sont d'ailleurs en hausse constante. Comme le relève Credit Suisse, le volume de recours traités à Zurich sur la période 2020–2021 a progressé de 25% par rapport à 2012–2019. "La nouvelle jurisprudence en matière de nuisances sonores dans le canton de Zurich à elle seule a entraîné le blocage de la construction d’un millier de logements par voie de recours".
 

Sans oublier les conflits d'intérêts administratifs, entre différents départements. "L’allongement des procédures de demande de permis de construire suggère que les grands projets résidentiels font face à des obstacles de plus en plus conséquents, notamment dans les grands centres où plus d’une année s’écoule en moyenne entre l’introduction de la demande et l’autorisation de construire". 

 

4. Accélérer la procédure d’autorisation
 

Dernier point proposé par les experts de Credit Suisse: améliorer l'efficacité de l'administration responsable de l'immobilier, par exemple en favorisant  l’introduction des demandes et leur traitement par voie numérique et, le cas échéant, étoffer les ressources en personnel des offices de la construction. 
 

L'administration devrait aussi être plus souple sur l'application de certaines réglementations, pour favoriser les réaffectations d’immeubles de bureau ou d’hôtels en logements, par la modification du zonage de localisations urbaines.
 

Dans l’ensemble, résume Credit Suisse, il s’agit de rendre la construction de logements de nouveau plus facile. 

 

Pas de solution aisée en vue
 

Personne ne conteste l'importance de la nouvelle approche en matière d'aménagement du territoire. Plusieurs fois les électeurs suisses ont indiqué aux autorités qu'ils ne voulaient plus du mitage. Cependant, une fois le constat posé, les solutions proposées n'ont pas été toujours les plus efficaces. "Le classement de terrains en zone à bâtir se trouvant considérablement compliqué, toute la pression urbanistique s’est reportée sur la densification et il est devenu évident que celle-ci ne parviendrait pas à fournir les résultats escomptés dans les délais prévus", jugent les experts de Credit Suisse. 
 

Selon eux, le législateur a tout simplement omis de soutenir la densification à l’aide de mesures d’accompagnement adéquates. En outre, il est passé comme chat sur braise sur la durée nécessaire pour développer des outils efficaces permettant d'accélérer cette densification. "La pénurie de logements qui s’annonce est donc faite maison".
 

Tout le monde est d'accord : il faudrait mettre en place rapidement des mesures afin de terrasser au plus vite cette pénurie mais, comme nous sommes en Suisse, chaque fois qu'une loi doit être révisée, cela prend plusieurs années, dans le meilleur des cas. Il va donc falloir prendre son mal en patience car aucune solution à court terme ne se dessine pour l'instant.
 

Olivier Toublan, Immoday