Pourquoi les valeurs hypothécaires des biens immobiliers sont-elles si résilientes ?

15/05/2024

Sylvie Hoecht

BCGE

5 min

L’annonce récente de la diminution de 25 points de base des taux d’intérêts par la BNS a engendré chez quelques investisseurs immobiliers l’idée que la valeur de leurs immeubles de rendement pourrait augmenter. Cette vision est probablement trop optimiste, voire même un peu utopiste !

 

Avec une part de marché de plus de 33% des prêts hypothécaires en Suisse, les banques cantonales endossent de ce fait une responsabilité importante dans le marché immobilier national. Etroitement liées au développement de leur canton, elles sont proches des besoins locaux et œuvrent activement à la promotion économique et immobilière locale. Ce rôle implique ainsi une gestion des risques liés aux prêts hypothécaires. En effet, bien que la diminution des taux d’intérêt puisse stimuler le marché immobilier, il est essentiel de surveiller attentivement les conséquences de tout changement et d’appliquer des mesures pour éviter d’éventuels déséquilibres.

Soucieux de stabilité, il est important pour le monde bancaire d’écarter les épiphénomènes dans les modèles des évaluations immobilières. Ainsi, pour adopter une vision à moyen - long terme, les taux de capitalisation ne sont pas modifiés au moindre mouvement haussier ou baissier des taux d’intérêts sur les marchés des capitaux. Conséquence compréhensible, les acteurs du marché immobilier crient au scandale ! Ils constatent qu’en cas de baisse des taux d’intérêt, les écarts se creusent entre les taux de capitalisation intégrés dans les prix de vente et ceux retenus dans les évaluations des prêteurs bancaires. En positionnant les valorisations des immeubles en dessous des prix constatés sur les marchés de l’immobilier, les banques réduisent les volumes des prêts et contraignent les investisseurs à mobiliser plus de fonds propres dans leurs projets immobiliers. La prudence des banques pourrait ainsi entrainer, soit une plus grande prise de risques sur les fonds propres investis, soit devenir un frein contre le risque de surchauffe et de création de bulle immobilière. En revanche, en cas de hausse des taux d’intérêts, les valeurs bancaires viennent rejoindre et flirter avec le niveau des prix des transactions. Force est donc de constater que les prix de l’immobilier sont beaucoup plus volatiles que les valorisations des experts bancaires.

Les coûts de la transition énergétique se reflètent dans les évaluations immobilières. Pour les investisseurs, les rénovations énergétiques posent avant tout la question du retour sur investissement. Pourtant, sous la pression réglementaire, les fonds immobiliers et les autres grandes sociétés d’investissements sont de plus en plus souvent incités à publier leur empreinte carbone dans leurs rapports ESG. Les performances énergétiques des bâtiments sont pleinement intégrées dans l’évaluation des immeubles sous la forme de coûts de rénovation à budgéter à moyen terme pour pouvoir, a minima, conserver de manière pérenne le niveau des loyers de l’immeuble.

L’inertie dans les projets de développement et de construction immobiliers ralentit également l’évolution des valeurs immobilières. Un vaste projet de développement est travaillé, analysé et modélisé bien 10 ans avant le premier coup de pioche ! La valorisation des coûts de construction est réalisée sur la base de plans financiers établis au moment de la demande de financement, soit souvent bien avant l’obtention du permis de construire. L’histoire récente nous a montré que les prix des matériaux de construction ont subi de très fortes envolées durant les années 2021 et 2023. Malgré tout, les valorisations des projets n’ont pas été ajustées sur cette période car les acteurs immobiliers sont encouragés à créer de la valeur à long terme : même si le coût intrinsèque de la construction augmente, la valeur de rendement résiste ! 

 

Sylvie Hoecht,
Cheffe du département Immobilier & Construction,
Banque Cantonale de Genève (BCGE)