Comparée au recyclage, la réutilisation des éléments de chantier affiche un rendement largement supérieur, moyennant quelques contraintes. Le point avec Barbara Buser, architecte primée et pionnière en la matière.
Alors que le prix des matériaux de construction neufs a pris l’ascenseur à maintes reprises ces dernières années et que leur livraison peut donner lieu à de long délais, le réemploi devient une alternative toujours plus valable. “Il faudrait améliorer le parc immobilier avec des matériaux réutilisés, voire réutilisables”, insiste Barbara Buser, architecte de la durabilité moult fois primée.
Cette profession de foi, la Bâloise l’a exprimée lors d’une conférence donnée le 20 novembre à Lausanne dans le cadre du salon Architect@Work. Une première édition romande placée sous le signe de l’innovation pour cet événement d’envergure précédemment organisé dans d’autres villes européennes et déjà sept fois à Zurich.
En Suisse, 17 millions de tonnes de déchets de construction sont chaque année réduits à néant, selon les chiffres de l’Office fédéral de l’environnement datant de 2020. Ce gaspillage géant comprend également des produits de qualité, à l’instar de barres d’armature, dont le coût a bondi de 87% en 2022, comme le signale l’indice suisse des prix établi par la Société suisse des entrepreneurs. Sans compter l’énergie grise que le réemploi permettrait d’économiser.
Expérience iconique
Forte de cette intime conviction, Barbara Buser a décidé de mettre sa créativité au service d’un test grandeur nature. A Winterthour, un ancien entrepôt a été entièrement rénové dans les règles de l’art avec une contrainte de taille: recourir à autant d’éléments de seconde main que possible. Il s’agit de l’emblématique K118, dont la réhabilitation a été récompensée du Global Holcim Award 2021 pour sa durabilité.
Mais avant d’obtenir cette distinction, le challenge de la réutilisation a donné lieu à deux ans de quête acharnée. “On faisait des listes et puis, à chaque fois qu’un chasseur de matériaux trouvait quelque chose, on l’analysait pour voir s’il n’y avait pas des éléments toxiques”, se souvient la cofondatrice du baubüro in situ. Idem pour les pièces structurelles, telles les poutres en acier, qu’un ingénieur devait inspecter pour s’assurer que la qualité soit irréprochable.
Au final, le bilan s’est révélé plus que satisfaisant. La proportion de matériaux réutilisés tutoie les 70% tandis que la réduction des émissions de gaz à effet de serre se chiffre à 60%. “La réutilisation est la stratégie la plus puissante pour faire diminuer le CO2, soutient la pionnière. Avec le recyclage, on n’atteint que 3 à 5%, car on détruit la forme.” Bref, une opération “win-win-win”, tant sur les plans économique et écologique (500 tonnes de CO2 en moins) que sociétal vu que le travail a été maintenu en Suisse.
Mise en réseau
Reste qu’entre la concrétisation d’un projet pilote et la généralisation d’une pratique vertueuse, il y a un gouffre. Pour le combler, Barbara Buser, récipiendaire du prix Meret Oppenheim pour l’ensemble de son œuvre, a catalysé son énergie dans divers projets. Son engagement pour l’architecture circulaire a donné lieu à des appels du pied pour la création d’une banque de données pratique, la constitution du think tank Denkstatt ou encore la fondation de Zirkular, un bureau de conseils à l’intention de ses pairs.
Citons également l’association Cirkla, car la faîtière du réemploi est appelée à jouer un rôle toujours plus important. Son projet Innosuisse cherche à établir des conditions cadres plus favorables. “Il ne faut pas seulement faire un projet mais aussi créer la base juridique pour rendre le changement plus facile, milite l’architecte expérimentée. J’espère vraiment qu’avec l’urgence climatique les gens parviendront à mieux réfléchir et à permettre des exceptions.”
Dans cette perspective, il s’agit dès à présent de commencer à sauvegarder pour la postérité les morceaux de bâti susceptibles d’être réemployés. Et de trouver où les stocker. Avec sa vivacité d’esprit caractéristique, la pétillante septuagénaire a déjà repéré une grande halle idéalement située: “Si quelqu’un peut m’aider à acquérir cet entrepôt, appelez-moi!”
Rédaction - Immoday