Olivier Ouzilou de Signa-Terre SA: «Oui, rénover durable c'est rentable, mais chaque cas est différent»

18/09/2024

Signa-Terre

Immoday

5 min

La situation dépend du type de propriétaire, de la localisation du bien et des bouquets de travaux de rénovation qu'il est possible de faire. Bref, il est impossible de généraliser, même au niveau d’un canton. Reste que selon, Olivier Ouzilou de Signa-Terre SA, si les rénovations sont bien planifiées et que les recettes sont considérées dans leur ensemble, dans bien des cas, la durabilité est rentable.

 

Il y a quelques semaines, une étude de Wüest Partner a fait beaucoup de bruit dans le petit monde de l'immobilier: Atteindre les objectifs de neutralité carbone en 2050 pour l'immobilier, c'est possible. En revanche, au vu des coûts, dans la plupart des cas, ça ne sera pas rentable, car, sauf dans des cantons comme Zurich ou Zoug, l'augmentation des loyers, lors des locations ultérieures, ne permettra pas d'absorber le montant des travaux. A l’exemple de cantons comme le Jura ou Berne, où les loyers sont beaucoup plus bas, ou de cantons comme Genève, où la protection des locataires est élevée, limitant la majoration possible des loyers, assure Wüest Partner.

C'est peu dire que cette publication a fait polémique, en particulier chez les défenseurs de la durabilité. Parmi eux, le Dr. Olivier Ouzilou, expert technique, cofondateur et directeur commercial de Signa-Terre SA, le leader de la décarbonation des parcs immobiliers de Suisse romande.
 

Dr. Olivier Ouzilou, rentrons tout de suite dans le vif du sujet : pour vous, les investissements dans la durabilité sont le plus souvent rentables, alors que pour l'étude de Wüest Partner, c'est l'inverse. Qui a raison ?


Cela vaudrait la peine de faire une analyse approfondie de l'étude de Wüest Partner. La rénovation est une problématique complexe qu'il est difficile d'aborder de manière uniforme, même au niveau d'un canton. Les situations varient en fonction de nombreux facteurs, tels que la nature des travaux et le type de biens concernés. Par exemple, certaines rénovations, notamment celles portant sur des villas et des appartements en PPE, peuvent présenter des perspectives de rentabilité moins favorables. C’est précisément cette situation spécifique qui a été mise en avant par la NZZ am Sonntag, et relayée ensuite par Le Temps et Immoday. Cependant, ces cas particuliers ne reflètent pas la réalité générale des rénovations énergétiques, qui, lorsqu'elles sont bien planifiées, peuvent être tout à fait rentables dans d'autres contextes immobiliers.
 

Ce n'est pas pertinent ?

 

Cela peut mettre en évidence des problématiques, mais cela ne doit pas être aussi tranché car les contextes sont différents. D'abord, tout change selon le type de propriétaire, qu'il soit privé, institutionnel ou fonds de placement. En effet tous n'ont pas les mêmes capacités financières, et surtout pas les mêmes régimes fiscaux. Ensuite, cela dépend aussi du type de rénovation que l'on fait. Certains travaux techniques, comme pour économiser de l'eau ou de l'électricité, offrent des retours sur investissement rapides, deux ou trois ans sur les gains d’énergies. D'autres, comme les changements de systèmes énergétiques, l'isolation, le remplacement des fenêtres, des façades, des toitures, ne se rentabiliseront avec leurs économies énergétiques que sur 20 ou 30 ans. Enfin, cela dépend bien entendu de la localisation du bien, car il n'est pas toujours possible de répercuter immédiatement et en totalité des travaux énergétiques sur les charges et les loyers. Bref, si l’on prend en compte ces différents éléments, c’est difficile de généraliser. 
 

Reste que vous persistez: dans la plupart des cas, augmenter la durabilité d'un bâtiment, c'est rentable.

 

Tout à fait, nous essayons d’élaborer avec le maitre d’ouvrage et ses mandataires des projets équilibrés qui tiennent compte de la globalité des aspects : architectural, énergétique et technique, mais aussi financier et fiscal. Sans oublier de prendre en compte le contexte local avec ses spécificités légales et réglementaires. À partir de ces ingrédients et dans une majorité de cas il est possible d’élaborer un projet de rénovation partiel ou total qui soit performant énergétiquement et économiquement, notamment grâce au fait que les travaux relatifs à l’énergie sont considérés comme travaux à plus-value et répercutables à 100% sur les loyers.
 

Sauf dans les cantons et les communes où les loyers sont plafonnés. Comment fait-on dans ce cas ? 

 

Effectivement, les travaux à plus-value seront répercutés au maximum des loyers admis durant une période de blocage puis ils pourront être augmentés de manière échelonnée, jusqu'à ce qu'ils atteignent le niveau du marché. Pour le locataire, si les travaux de rénovation sont bien faits, certes son loyer va augmenter, mais en parallèle ses charges vont baisser. En plus, il gagne en confort énergétique et climatique avec un bâtiment moins sensible aux éventuelles fluctuations des prix de l’énergie. 
 

D'accord sur le principe, mais en règle générale, pour le propriétaire, ces augmentations de loyer ne compensent pas le coût des travaux de rénovation énergétique. 

 

Je suis d'accord avec vous, mais il ne faut pas oublier que ces rénovations bénéficient aussi de subventions publiques, qui se montent, en général, entre 8 à 13% du coût final. Il ne faut pas oublier non plus les avantages fiscaux. C’est là où les grandes différences s’opèrent. Si on additionne le tout, on arrive facilement à 40 ou 50% du coût des travaux. Ce qui change complètement la donne.
 

Donc, d'un point de vue économique, ça vaut la peine de rénover les bâtiments quand on est propriétaire d'un parc immobilier ?

 

Souvent, oui. Mais comme je l'ai dit, pour certains bâtiments, c'est plus évident que pour d'autres. Par exemple quand, en parallèle, on peut aussi revaloriser le bien, augmenter ou valoriser la surface locative, notamment avec une surélévation. Mais il faut également avouer que dans certaines régions, pour certains types de bâtiments, surtout si ce sont des passoires énergétiques qui ont été payées très cher et louées au maximum des loyers du marché, un retour sur investissement après des rénovations énergétiques sera plus difficile. 
 

Le problème, c'est que dans certaines villes, avec un marché de l'immobilier tendu, un bâtiment énergivore se vend quasiment au même prix qu'un bâtiment durable.

 

Il en va de la responsabilité de l'acquéreur de ne pas acheter un bien au-dessus de sa valeur réelle, même si sa valeur de marché est supérieure. Il y a un moment où il faut savoir refuser, quand on se rend compte que la rentabilité voulue ne pourra jamais être atteinte si l’on intègre le coût de tous les travaux de rénovation énergétique nécessaires ainsi que les coûts de mises aux normes et conformités. C’est pour cela que les experts immobiliers, si possible accompagnés de spécialistes en énergie, doivent être utilisés par les propriétaires en amont des acquisitions. Cependant, le malheur des uns peut faire le bonheur des autres. En effet, un bâtiment sur lequel il n’y a pas de marge de manœuvre économique pour un fonds immobiliers pourra se révéler une aubaine pour un propriétaire privé, par exemple, qui pourra intégrer le levier de la fiscalité pour rentabiliser les travaux. C’est peut-être aussi pour cela, qu’en plus de l’effet de pénurie, que des bâtiments de ce type se vendent au prix fort.
 

Ce sont des arguments que les gérants de fonds de placement immobiliers entendent ? 

 

De plus en plus. Nous travaillons avec plusieurs fonds de placement immobiliers pour qui la durabilité est devenue une préoccupation importante, voire centrale. D'une part pour des raisons de bonne gestion, puisqu'ils restent souvent propriétaires des immeubles pendant des décennies. Il est donc nécessaire de bien les entretenir et d'anticiper tous les risques énergétique, climatique ou technique, ainsi que des contraintes réglementaires qui ne cessent de se durcir dans ces domaines. D'autre part, à cause de la pression des investisseurs, que ce soient les institutionnels ou les caisses de pension, pour qui la finance et l’immobilier durable est également devenue une préoccupation fondamentale. Certains fonds ont intégré des compétences pluridisciplinaires qui savent identifier et trier dans leur parc immobilier les bâtiments qui répondent à une approche multicritère. Ils savent aussi gérer les travaux de rénovation nécessaires tout en répondant au devoir de rentabilité exigé par les porteurs de parts. Tout ceci est intégré dans leurs plans pluriannuels de travaux. Pour moi c’est la preuve par que les choses évoluent dans le bon sens.

 

Rédaction-Immoday.ch