
Le benchmark élaboré par Signa-Terre et Wüest Partner cherche à caractériser l'état général de la performance énergétique du parc immobilier suisse sur la base des consommations réelles. Avec la volonté de pouvoir faire des comparaisons fondées et d'identifier les priorités pour la rénovation énergétique. Les premiers résultats montrent des différences significatives selon le type de propriétaire. Mais aussi, bonne nouvelle, une amélioration de la performance énergétique des immeubles en Suisse.
La consommation énergétique des immeubles reste un des grands sujets de préoccupation de tout le secteur. Le problème, c'est que son analyse repose souvent sur des données théoriques. Pour pallier à ce biais, Signa-Terre et Wüest Partner viennent de lancer un nouveau benchmark, qui se base sur les consommations réelles des bâtiments, déterminées après des visites techniques des bâtiments. Nicolas Demierre, le nouveau directeur général de Signa-Terre, nous explique les tenants et les aboutissants de cet outil.
Nicolas Demierre, pourquoi ce nouveau benchmark que Signa-Terre a élaboré avec Wüest Partner?
Pour atteindre des objectifs climatiques ambitieux, il est nécessaire de prendre les bonnes mesures et de les coordonner efficacement dans le temps. Cela requiert une base de données étendue et détaillée. Comme, par exemple, les données mesurées de consommation énergétique des bâtiments, qui présentent l’avantage d’être précises, spécifiques et immédiatement exploitables. Elles permettent aux propriétaires et aux investisseurs de prendre des décisions informées, d’améliorer l’efficacité énergétique de manière ciblée, de réaliser des économies et de contribuer efficacement à la protection du climat.
D'accord sur le principe, mais concrètement comment est établi le benchmark?
Pour établir des benchmarks fiables de la consommation réelle d’énergie, mesurée en kilowattheures (kWh), des bâtiments résidentiels suisses, Signa-Terre et Wüest Partner ont analysé les données de consommation de plus de 10 000 bâtiments résidentiels, représentant une surface de référence énergétique d’environ 18 millions de mètres carrés. Les données ont été anonymisées afin qu’aucun bâtiment ou propriétaire ne puissent être spécifiquement identifiés.
Quels sont les critères pris en compte pour déterminer la signature énergétique d'un immeuble ?
Cette étude couvre la consommation énergétique des bâtiments et calcule des indicateurs de performances tels que l’intensité énergétique en kWh/m2/an et l’intensité carbone en kgCO2/m2/an. Les consommations d’électricité pour les espaces communs et locaux techniques ainsi que les consommations de chaleur des chauffages à distance et les combustibles (gaz, mazout, bois, pellets, etc.) sont systématiquement mesurées et collectées pour calculer les indicateurs de performance énergétique des bâtiments.
Dans votre analyse de la consommation énergétique, vous parlez de Scope 1, Scope 2 et Scope 3. Qu’est-ce que ça signifie concrètement ?
La notion de scope fait référence au périmètre des émissions des gaz à effet de serre. Concrètement dans les bâtiments en exploitation, le scope 1 fait référence aux émissions directes liées à la combustion des énergies fossiles (gaz et mazout) dans le bâtiment. Le scope 2 fait référence aux émissions liées aux énergies distribuées au bâtiment par un réseau de chaleur ou électrique. Le scope 3 a une définition plus large et fait référence dans ce contexte aux émissions générées par l’électricité consommée directement par les locataires ainsi que les émissions indirectes liées à la mise à disposition des énergies.
Vous dites avoir analysé les données de consommation de plus de 10’000 bâtiments résidentiels en Suisse. Comment est-ce humainement possible ?
Signa-Terre propose des services de surveillance énergétique des bâtiments depuis sa création en 2008. À ce jour, c’est plus de 60 collaborateurs qui suivent annuellement près de 15'000 bâtiments pour la surveillance énergétique et la planification des travaux de rénovation énergétique. Nous avons développé différents processus pour collecter les données, parfois manuellement avec nos équipes de comptabilité énergétique et parfois automatiquement à partir de compteurs intelligents ou capteurs IoT ou encore de lecture automatique des factures d’énergie assistée par IA.
Il existe déjà plusieurs benchmarks de performance énergétique, en quoi le vôtre est différent des autres?
Notre benchmark est un outil de comparaison qui présente une image réelle de la performance énergétique du parc immobilier suisse. Toutes les données de consommation utilisées dans ce benchmark sont des données réelles et complètes avec une assurance de qualité élevée. La méthodologie utilisée est alignée sur les recommandations de l’AMAS pour garantir un maximum de comparabilité avec d’autres benchmarks proposés par le marché comme par exemple celui de REIDA. L’échantillon de notre benchmark est majoritairement composé d’immeubles résidentiels en Suisse et constitue donc une très bonne référence comparative pour tous les portefeuilles de même typologie.
Si on passe aux résultats, où en est la performance énergétique des immeubles en Suisse ?
Selon notre étude, l’intensité énergétique moyenne est de 119,2 kWh/m2/an et l’intensité carbone des scopes 1+2 est de 19,4 kgCO2/m2/an. Il existe une grande différence entre les portefeuilles les plus performants et les moins performants. Dans le détail, les émissions de Scope 1 dominent largement avec une intensité moyenne de 17,2 kgCO2/m2/an, surpassant de loin les émissions de Scope 2. Les émissions directes sont donc la principale source de rejet de CO2 dans l'atmosphère, ce qui est conforme aux attentes étant donné la forte proportion de bâtiments encore chauffés par la combustion d’énergie fossile.
Quelle est l'évolution de cette performance ces dernières années ?
Nous observons une amélioration de la performance même si je ne peux pas vous dire de combien exactement. C’est justement l’objectif de notre benchmark de pouvoir suivre l’évolution dans le temps. C’est pour cela que nous avons prévu d’actualiser notre étude chaque année.
Néanmoins, la consommation énergétique du parc immobilier suisse semble en baisse, ce qui est une bonne nouvelle. Pensez-vous que ce sera suffisant pour atteindre les objectifs 2050 ?
Il me semble évident que la baisse devra s’accélérer au cours des prochaines années pour atteindre ces objectifs de zéro émissions nettes d’ici 2050. L’objectif net zéro pour le secteur des bâtiments selon la LCI exige un abandon complet des énergies fossiles pour le chauffage des bâtiments d’ici à cette date et le même objectif pour le secteur de l’industrie exige une décarbonisation des réseaux électriques et thermiques.
Où en est la Suisse par rapport aux pays voisins?
Nous n'avons pas fait cette étude. Cependant, je peux quand même vous dire que les émissions moyennes de CO₂ sont plus faibles en Suisse qu’en Allemagne. Pour les maisons individuelles, elles atteignent 40 kg de CO₂ par mètre carré et par an en Suisse, contre 73 kg en Allemagne. Pour les immeubles locatifs, les chiffres sont respectivement de 30 kg en Suisse et 61 kg en Allemagne.
Y a-t-il des différences de consommation énergétique selon la localisation des immeubles ?
Si l’on compare les indicateurs d’intensité énergétique et carbone calculés par REIDA et par Signa-Terre, on observe une différence significative entre les deux côtés de la Sarine. Sachant que l’échantillon REIDA est majoritairement localisé en Suisse allemande et l’échantillon Signa-Terre majoritairement en Suisse romande, alors on pourrait imaginer que l’état général du parc en Suisse allemande est meilleur. Cependant, nous n’avons pas encore les données suffisantes pour confirmer cette hypothèse.
Y a-t-il des différences de performance énergétique selon le type de propriétaire des immeubles ?
Oui effectivement. L'intensité énergétique des bâtiments détenus par des propriétaires privés ou des Family Offices a tendance à être plus élevée. Le fait que ces propriétaires soient peu exposés à des pressions externes de la part d'investisseurs ou de régulateurs pourrait expliquer pourquoi ces bâtiments sont moins efficaces. À l’opposé, les bâtiments détenus par des propriétaires de type coopérative de logement et fondation immobilières affichent généralement les meilleurs résultats. Une sensibilité plus prononcée pour le confort des occupants pourrait l’expliquer. On observe la même tendance pour l’intensité carbone des portefeuilles immobiliers.
Est-ce peut-être une conséquence des contraintes de rentabilité des investissements, par exemple pour les fonds de placements ou les assurances ?
Notre étude ne permet pas de répondre précisément à cette question. Probablement que le profil de rentabilité des investissements est un facteur déterminant pour un propriétaires qui doit en priorité rémunérer les investisseurs ou assurer le paiement de rentes. Néanmoins, il est très important pour la rentabilité à long terme que des mesures appropriées de performance énergétique soient prises aujourd’hui.
Et finalement, si on veut se faire sa propre opinion, cette étude est-elle publique?
L’étude est disponible en français ici : https://wuestpartner-112024-energie-fr.webflow.io/
et en allemand ici : https://wuestpartner-112024-energie-dt.webflow.io/
Rédaction • Immoday.ch