Achat d’une société immobilière appartenant à un actionnaire étranger - risqué ?
29/03/2022
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Achat des actions d’une société immobilière appartenant à un actionnaire étranger : Est-ce risqué ? Le Tribunal répond par l’affirmative.
Il est courant d’acquérir des immeubles détenus de manière indirecte sous la forme de sociétés immobilières. Pour des raisons historiques, il subsiste un grand nombre de sociétés immobilières en Suisse qui, pour certaines, ont été constituées il y a de très nombreuses années. Les acteurs de l’immobilier titrisé sont parfois confrontés à de sociétés immobilières dont les actionnaires sont domiciliés à l’étranger. Dans ce cas, en cas de distribution de dividendes provenant de réserves constituées sous l’égide de l’actionnaire étranger, il se pose la question de savoir si l’impôt anticipé pourra être remboursé à l’acquéreur des actions. En cas de non-remboursement, il faut tenir compte – d’une manière ou d’une autre – du coût supplémentaire de cette charge fiscale qui peut se révéler inattendue.
Depuis de nombreuses années, l’Administration fédérale des contributions (AFC) a développé une pratique dite « des anciennes réserves ». En substance, sur la base de cette théorie, il convient de retenir une forme d’abus de droit lorsqu’une société holding suisse ou une personne physique achète à des personnes résidentes à l’étranger des actions à un prix supérieur à la valeur nominale de toutes les actions d’une société – par hypothèse immobilière – ayant son siège en Suisse et disposant de substance non nécessaire à l’exploitation et d’importantes réserves distribuables. Ainsi, lors de la distribution ultérieure des réserves par le nouvel actionnaire, l’AFC applique de facto le taux de récupération qui prévalait sous l’égide de l’ancien actionnaire et refuse donc le remboursement total ou partiel de l’impôt anticipé auprès du nouvel actionnaire. En d’autres termes, il convient de se placer dans la situation qui était celle de l’actionnaire au moment de la vente des actions pour connaître le sort de l’impôt anticipé des réserves existantes au moment de la vente.
Concrètement, cela signifie qu’un fonds immobilier (que ce soit sous une forme contractuelle ou une SICAV) doit se soucier de la question de la théorie des anciennes réserves lorsque le fonds procède à l’acquisition des actions d’une société immobilière à un actionnaire résidant à l’étranger. En effet, cette pratique, qui était initialement réservée aux situations de restructuration à l’intérieur de groupes de sociétés, s’est étendue désormais aux cas de ventes des tiers actionnaires indépendants à des acquéreurs sans lien avec le vendeur.
La question de la théorie des « anciennes réserves » en cas de vente d’actions à une tierce personne a souvent constitué un débat parmi les praticiens de la fiscalité. En effet, un conseiller fiscal soucieux de préserver les intérêts de son client acquéreur de sociétés immobilières devait prendre en compte le risque des anciennes réserves lorsque le cédant était un actionnaire résidant à l’étranger. Cette crainte a désormais été confirmée par un arrêt très important du Tribunal fédéral (TF).
Dans une jurisprudence datée du 29 juillet 2021, le TF s’est penché sur la question de la pratique des anciennes réserves dans le cadre de l’acquisition par une société suisse d’une autre société suisse exerçant une activité de fiduciaire (soit une société opérationnelle) et détenue par un actionnaire étranger. La société cible possédait des liquidités excédentaires ainsi que des réserves distribuables au sens du droit commercial.
Dans cet arrêt, le TF a précisé les contours de la théorie des anciennes réserves dont l’analyse par l‘AFC se limitait – pour ainsi dire et jusqu’à présent – au fait qu’un actionnaire étranger vendait des actions à un résident suisse et qu’il y avait des réserves distribuables. Pour le TF, cette analyse est insuffisante car il convient en outre d’examiner si la transaction reprend les éléments constitutifs d’un cas d’abus de droit (soit une évasion fiscale, selon la terminologie consacrée en droit fiscal). Ainsi, il est nécessaire d’examiner si cette transaction présente (i) une forme insolite, (ii) ayant pour but d’économiser des impôts, et (iii) qui conduit à une notable économie d’impôt si elle est acceptée sans autre par les autorités fiscales.
Dans cet arrêt, le TF a retenu qu’il y avait bien un cas potentiel « d’anciennes réserves » en raison d’importantes excédentaires et des réserves distribuables, ce qui constitue un indice important. Cependant, il convenait de rechercher encore si cette transaction avait pour but une économie d’impôt, ne reposait sur aucun motif économique et si elle conduisait effectivement à une notable économie d’impôt pour le vendeur. Le TF répond par l’affirmative dans cet arrêt en raison de la cessation de l’activité de la société.
Ce qui est étonnant dans cette jurisprudence, c’est le fait que l’actionnaire suisse a procédé à la distribution de dividende contestée cinq ans après l’achat des actions. Alors que la société distributrice avait une activité opérationnelle au moment de l’achat des actions, il se trouve que la société cible n’était plus vraiment active au moment de la distribution du dividende. C’est pourquoi le TF a estimé qu’il était insolite d’acquérir une société avec autant de liquidités excédentaires qui, par la suite, cesse son activité effective quelques années plus tard. Ainsi, la transaction a été vue comme insolite et abusive par le TF. De plus, l’écoulement du temps, à savoir le fait de distribuer un dividende plus de cinq ans après l’achat des actions, n’est pas de nature à guérir l’abus.
En quoi cet arrêt pourrait susciter une influence dans le cas des acquisitions de sociétés immobilières ?
A notre sens, cela signifie que le fait d’acquérir une société immobilière qui possèderait des réserves distribuables importantes ainsi que des liquidités excédentaires non nécessaires à l’exploitation ou d’autres actifs non nécessaires à l’exploitation (comme par définition un immeuble de placement ou une dette actionnaire), serait de nature à créer une problématique « d’anciennes réserves » pour l’acquéreur.
Dans ce contexte, il est clair qu’un acquéreur d’une société immobilière détenue par un ou des actionnaires étrangers devrait absolument couvrir le risque de la théorie des « anciennes réserves », en prévoyant une garantie dans le contrat visant à couvrir le risque de l’impôt anticipé qui ne serait pas remboursé en cas de distribution de dividende. Cette disposition contractuelle devrait porter en tout cas sur les réserves distribuables au moment de la vente pour un montant correspondant au taux de 35% des réserves distribuables. L’acquéreur devrait donc aménager le contrat avec des garanties permettant de faire en sorte de recouvrer la somme, de la bloquer si nécessaire ou réduire le prix de vente des actions.
Ainsi qu’on peut le constater, l’acquisition d’une société immobilière détenue par un ou des actionnaires étrangers devient une opération complexe qu’il convient d’évaluer avec cautèle afin d’estimer le risque éventuel de non-remboursement de l’impôt anticipé sur les réserves distribuables au moment de la vente des actions. Nul doute que cette problématique donnera lieu à des discussions animées lors des négociations entre l’acquéreur et le vendeur étranger dès lors que cet arrêt du TF confirme désormais concrètement l’existence de ce risque fiscal en pareilles circonstances. Le vendeur pourra toujours tenter de démontrer que la vente n’est pas insolite, mais sa tâche sera sans doute très difficile voire impossible.