
Initiative UDC «Pas de Suisse à 10 millions»: Développements récents et procédure
Le 25 septembre 2025, le Conseil national a rejeté l’initiative populaire de l’UDC «Pas de Suisse à 10 millions!» (Initiative pour la durabilité), par 121 voix contre 64, après un débat réunissant 115 orateurs. D’une intensité rare, ce débat-fleuve a duré près de 11 heures, en faisant l’un des plus longs de la législature ! Cette actualité replace au premier plan une initiative lancée par l’Union démocratique du centre à l’été 2023 et officiellement déposée avec plus de 114’000 signatures. Le texte, qui sera soumis au vote du peuple et des cantons, vise à limiter la population résidante permanente de la Suisse à 10 millions d’habitants d’ici à 2050. Dans son message du 21 mars 2025, le Conseil fédéral a recommandé son rejet, sans contre-projet direct ni indirect, tout en annonçant un renforcement ciblé de la Lex Koller, présenté comme une mesure d’accompagnement à la non-entrée en matière sur l’initiative
L’initiative vise à inscrire un nouvel article dans la Constitution fédérale (art. 73a) pour limiter la population résidante permanente de la Suisse
Le texte prévoit qu’une fois la population résidante permanente de la Suisse dépassant 9,5 millions d’habitants, des mesures strictes entreraient en vigueur : suppression des autorisations de séjour ou d’établissement pour les personnes admises provisoirement, exclusion de l’accès à la naturalisation, limitations du droit de séjour, voire résiliation de traités internationaux, notamment l’accord de libre circulation avec l’UE. La démo-graphie devient ainsi un déclencheur de décisions juridiques et internationales.
Après le National, place au Conseil des États
L’initiative a passé un premier stade significatif la semaine dernière, avec son rejet par le Conseil national. La procédure se poursuit désormais au Conseil des États, qui doit se prononcer à son tour, vraisemblablement lors de la session d’hiver (décembre 2025). En cas de divergences entre les deux Chambres, la procédure d’élimination des divergences permettra d’arrêter un texte commun. Celui-ci sera ensuite soumis au vote du peuple et des cantons. Les prochaines semaines seront ainsi déterminantes.
Un encadrement démographique strict, des répercussions multiples.
L’initiative se présente comme une réponse durable aux défis de la croissance : préserver les ressources, maîtriser les infrastructures, protéger les assurances sociales. Mais elle introduit en même temps une régulation automatique et rigide, dont les effets pourraient dépasser large-ment la seule question migratoire. Durant les onze heures de débats au national, les élus UDC ont martelé que l’immigration met sous tension le logement, les transports, les infrastructures et l’environnement. Leurs adversaires ont répliqué en dénonçant une vision irréaliste et dangereuse pour l’économie, qui fragiliserait les accords internationaux dont la Suisse dépend. Mais quelles conséquences pour l’immobilier titrisé ?
Quid pour l’immobilier indirect
Dans notre industrie, la stabilité du cadre juridique, la prévisibilité des flux migratoires et la croissance progressive de la population sont des paramètres structurants. Ils influencent la stratégie d’allocation des fonds, la planification des projets, ainsi que la valorisation des actifs détenus par les investisseurs institutionnels.
Un ralentissement démographique brutal ou non anticipé pourrait affecter l’équilibre offre-de-mande dans certaines régions, entraîner des ajustements dans les projections de rendements et compliquer la lecture des marchés pour les gestionnaires d’actifs immobiliers.
Investissements à long terme et sécurité juridique: la stabilité en question.
Le modèle de l’immobilier indirect s’appuie sur des horizons de placement longs, dans un environnement juridique et économique stable. Toute évolution constitutionnelle introduisant un plafonnement de la population, assorti de clauses de dénonciation d’accords internationaux, est susceptible de générer une incertitude, difficilement conciliable avec les attentes des investisseurs.
Un retournement rapide de l’immigration, allié à une crise économique générée par la pénurie de main-d’oeuvre et d’éventuelles mesures de rétorsion de l’UE, occasionneraient une modification brusque des conditions-cadres avec un impact certain sur le secteur immobilier.
Révision de la Lex Koller
Dans son message du 21 mars 2025, le Conseil fédéral a recommandé le rejet de l’initiative, sans contre-projet direct ni indirect, tout en annonçant parallèlement un renforcement ciblé de la Lex Koller. Cette révision viserait à durcir les conditions d’acquisition d’immeubles en Suisse par des personnes à l’étranger, ainsi que l’exercice de certains droits y relatifs. Ce retour à l’esprit initial de la loi des années 60 se traduirait par des règles plus strictes pour les ressortissants d’États non-membres de l’UE/AELE, notamment pour l’acquisition d’im-meubles servant d’établissement stable (interdiction de les louer ou de les exploiter) et de logements servant de résidence principale. Restreindre l’accès des investisseurs étrangers au marché immobilier commercial entraînerait, de facto, une contraction de la demande et affecterait la liquidité de certains fonds. Enfin, l’autorisation d’acquérir une résidence principale pourrait être subordonnée à l’obligation de revendre le logement dès que la personne ne réside plus en Suisse. De tels scénarios méritent des analyses approfondies afin d’en mesurer les impacts.
Extrait du message du Conseil fédéral du 21 mars sur les modifications de la « Lex Koller »
https://www.fedlex.ad-min.ch/eli/fga/2025/1262/fr
Le Conseil fédéral a mandaté le DFJP pour préparer, d’ici la fin de l’été, un projet de réforme de la Lex Koller visant notamment à réintroduire l’obligation d’autorisation pour l’acquisition de participations dans des sociétés immobilières cotées et à encadrer l’achat d’appartements de vacances ou d’unités d’habitation dans des apparthôtels. À ce stade (septembre 2025), ce projet n’a pas encore été finalisé, et ses contours peuvent encore évoluer. Si ces mesures étaient adoptées, elles pourraient accentuer les enjeux de liquidité et de stabilité dans l’immobilier indirect.
Selon Me Jean-Yves Rebord, Chef du Groupe de travail LEGAL & REGULATION chez COPTIS, le passage surligné ci-dessus est très préoccupant, mais pas nouveau, puisqu’il s’agirait d’un retour à ce qui prévalait au siècle dernier et qui avait déjà été envisagé en fin d’année 2017 sous l’impulsion de Mme Badran. A cette occasion, COPTIS avait participé au groupe qui s’était formé sous Allianz Modern Lex Koller et qui avait pris très fortement position, avec d’autres institutions, contre ce re-tour en arrière :
https://www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/77625.pdf.
Une question qui pourrait se reposer comme en 2013 et 2017 est de savoir si des régimes similaires doivent être appliqués entre SI et fonds im-mobiliers. Dans cette hypothèse, il sera nécessaire de repréciser que la cotation ou l’existence d’un marché régulier est une condition d’autorisation pour les fonds immobiliers qui n’est octroyée par la FINMA que si la gestion est assurée par un tiers suisse sans domination étrangère (Fremdverwaldung), alors que pour les SI la cotation permet d’éviter l’autorisation de la FINMA.
Un contexte à suivre pour COPTIS
À ce jour, ni la FINMA ni d’autres autorités de surveillance ou associations sectorielles n’ont pris position officiellement sur ces sujets. COPTIS a néanmoins été informé que le Verband Immobilien Schweiz (VIS) a amorcé une réflexion, et il est probable que d’autres organisations professionnelles s’y intéressent aussi. L’USPI Suisse nous a déjà confirmé son inquiétude. Les prises de pa-role sur les impacts potentiels pour les différents secteurs restent pour l’instant limitées.
En tant qu’association représentative de l’immobilier indirect, COPTIS va continuer à suivre le sujet. Le Conseil de direction (CODIR) et le Comité général (COGEN) ont donné leur accord pour un entretien avec le VIS (Verband Immobilien Schweiz), afin d’évaluer son positionnement dans le cadre de la consultation annoncée par le Conseil fédéral. Une rencontre avec Mme Bettina Mut-ter, en charge des affaires publiques au sein du VIS, a déjà été menée. COPTIS se réserve la possibilité de rédiger, ou corédiger, une prise de position, seule ou avec d’autres, si cela devrait s’avérer nécessaire. Nous vous tiendrons informés.
Cette initiative et les mesures envisagées par le Conseil fédéral pour la combattre soulève des en-jeux qui dépassent la seule politique migratoire et pourraient influencer, à terme, la dynamique de l’immobilier indirect et titrisé en Suisse. Dans ce contexte, COPTIS entend poursuivre son rôle de veille et d’information en mettant à disposition de ses membres des analyses neutres, structurées et utiles pour en évaluer les impacts possibles.
Cindy Monneron-Bertschy, Directrice, COPTIS