
Certains politiciens aimeraient interdire aux étrangers l'achat d'action de société immobilières, comme c'était le cas avant 2005. Un retour en arrière qui serait contre-productif et qui n'aurait pas d'impact sur les prix de l'immobilier résidentiel. En effet, les sociétés immobilières sont essentiellement actives dans le commercial, explique Robert Sekula, Senior Portfolio Manager chez SFP. En outre ce retour en arrière pourrait, par effet domino, pénaliser le rendement des caisses de pension suisses.
Le 29 janvier, parallèlement à son rejet de l'initiative populaire «Pas de Suisse à 10 millions», le Conseil fédéral a proposé des mesures d'accompagnement et a relancé le débat sur l'assujettissement des sociétés immobilières cotées à la «Lex Koller».
Des mesures qui prétendent résoudre un problème qui en fait n'existe pas et qui reposent sur des arguments discutables comme la prétendue influence des sociétés immobilières cotées sur le marché du logement, la menace d'une main mise étrangère et d'une imaginaire fuite de la rente foncière. Des mesures qui pourraient surtout convaincre ces véhicules de se retirer de la cote, ce qui serait dommageable tant pour les investisseurs que pour le public, puisque la cotation en bourse accroît la transparence, avec, par exemple, l'obligation de publier des comptes exhaustif, d'expliquer la marche des affaires et de détailler les mesures ESG prises pour augmenter la durabilité de leurs portefeuilles immobiliers.
Les débat n'ont jamais cessé autour de la Lex Koller
Effectivement, depuis 2005, des étrangers peuvent acquérir des parts de sociétés immobiliers suisses cotées, ce qui a permis une égalité de traitement avec les fonds immobiliers cotés, exemptés d'autorisation. L'objectif était de réduire les charges administratives et de faciliter l'accès au marché des capitaux. En outre, dans une décennie qui était encore favorable à l'assouplissement de la Lex Koller, on assurait que, au vu du nombre important des actionnaires de ces sociétés immobilières, il n'y avait guère de risque de main-mise étrangère.
Mais le climat politique a changé. Dès 2013, plusieurs interventions ont demandé l'abolition de la possibilité accordée aux étrangers d'acquérir des parts de fonds immobiliers et des actions de sociétés immobilières cotées. Les raisons invoquées? La situation difficile du marché du logement, soi-disant péjorée par la spéculations des financiers internationaux, et les incertitudes croissantes sur les marchés des capitaux. Ce n'est que de justesse qu'un refus du Conseil des Etats a permis d'éviter un durcissement de la loi, en juin 2014. Mais les partisans de ce durcissement n'ont pas déposé les armes. Depuis, il y a eu de nouvelles tentatives de restreindre l'acquisition d'actions des sociétés immobilières et de parts des fonds immobiliers. Ce qui ne nous semble pas être une bonne solution.
Quel est vraiment l'impact des sociétés immobilières?
Actuellement, on compte 15 sociétés immobilières cotées à la Bourse suisse SIX. D'après les évaluations de SFP, ces sept dernières années, la part des immeubles résidentiels dans leur portefeuille, mesurée selon la VNI, n'a jamais été supérieure à 15%. Les deux plus grandes acteurs de ce secteur, Swiss Prime Site et PSP, qui représentent près de 60% de sa capitalisation boursière, ont chacune une part d'immobilier résidentiel inférieure à 1%. En fait, selon une étude de l'entreprise de conseil immobilier JLL, moins de 2% des logements locatifs en Suisse sont détenus par des sociétés immobilières cotées. Des proportions confirmées par l'Office fédéral de la statistique (OFS), qui estime que les entreprises de construction et les sociétés immobilières possédaient, en 2024, moins de 8% des logements locatifs. Un taux qui a d'ailleurs toujours été inférieur à 9% depuis le début de l'enquête de l'OFS, en 2017. On peut penser que cette préférence des sociétés immobilières pour les surfaces commerciales, et en particulier les bureaux, a été une sorte de mesure préventive pour éviter les problèmes d'autorisation posés par la Lex Koller. Mais, aujourd'hui, si cette préférence persiste, c'est aussi à cause de l'expertise acquise au fil des ans dans le développement et la gestion des surfaces commerciales, très différente de l'immobilier résidentiel.

Source: Rapports de gestion, SFP AG
La capitalisation des sociétés immobilières n'a que peu d'impact sur la valeur de l'immobilier
La cotation a aussi l'avantage, pour les sociétés immobilières, d'élargir les sources de capitaux étranger. Par rapport aux hypothèques classiques, cela permet de structurer les financements de manière plus flexible et plus efficace. Ce qui permet, au final, aux sociétés immobilières de bien faire leur travail, pour preuve des taux de vacance des surfaces de bureau qui sont restés relativement bas, malgré les défis posés par ce segment du marché.
D'ailleurs, en règle général, on peut affirmer que ces véhicules sont parmi les placements immobiliers les plus efficients. Surtout, on ne peut pas établir de lien direct entre l'évolution de leur valeur en bourse et le marché immobilier suisse. En effet, la capitalisation boursière des sociétés immobilières est influencée par divers facteurs comme, récemment, les incertitudes géopolitiques. Son évolution est par conséquent plus volatile que, par exemple, la valeur des terrains. Il y a d'ailleurs peu de parallèles entre les deux, comme le montre le graphique ci-dessous. En fait, la capitalisation boursière des sociétés immobilières reflète essentiellement les attentes futures des investisseurs, attentes changeantes selon les perspectives économiques, ce qui entraîne de la volatilité, mais aussi une prime ou une décote par rapport à la valeur du portefeuille immobilier détenu par la société.

Source: Rapports de gestion, SFP AG
Les sociétés immobilières sont devenues des titres recherchés par les caisses de pension
Ces dernières années, les sociétés immobilières sont devenues des titres recherchés par les investisseurs suisses et en particulier par les caisses de pension. On estime d'ailleurs que ces dernières détiennent environ 20% des actions des sociétés immobilières (avec des différences importantes selon les entreprises). En investissant dans ces sociétés immobilières, dont le portefeuille est, on l'a vu, essentiellement constitué d'immobilier commercial, les caisses de pension diversifient leurs portefeuilles immobiliers, qui sont en général majoritairement concentré sur le résidentiel.
Dans ce contexte, un durcissement des règles en vigueur depuis 2005 obligerait les sociétés immobilières cotée à vérifier la nationalité de chaque investisseur dès l'acquisition des titres, ce qui entraînerait des dépenses importantes. Avec comme conséquence possible un retrait de la cote, voire une vente des actifs, pour éviter ces contraintes administratives.
Les investisseurs étrangers jouent un rôle secondaire sur le marché immobilier suisse.
Avec 30 milliards de francs, la capitalisation boursière totale des entités suisses représente environ 1% seulement du marché global des sociétés immobilières cotées. En outre, elles sont assez peu liquides. En effet, le volume de transactions des actions des sociétés immobilières cotées à la bourse suisse s'élève à environ 33 millions de francs chaque jour, soit 1/12 du volume quotidien de transaction des actions Novartis. Ce qui n'est de loin pas suffisant pour attirer les gros investisseurs étrangers. D'ailleurs, la part des investisseurs suisses à nettement augmenté au cours des cinq dernières années, alors que celle des investisseurs étrangers n'est plus que de 4% pour l'ensemble de l'univers des sociétés immobilières cotées.
Si l'on examine la situation plus en détail, on constate d'ailleurs que seules trois entreprises affichent une part d'investisseurs étrangers supérieure à 10%, pour deux d'entre elles principalement à cause de prises de participation de gros émetteurs internationaux d'ETF comme BlackRock ou Vanguard, qui ont également comme clients finaux des investisseurs suisses. Par ailleurs, afin de garantir les exigences de la Lex Koller, les sociétés immobilières se réservent le droit, dans leurs statuts, de refuser une inscription au registre des actionnaires des entreprises étrangères dont la structure actionnariale pourrait poser problème.

Source: Rapports de gestion, SFP AG
La cotation implique une transparence au final favorable aux investisseurs
La cotation en bourse oblige également les sociétés immobilières à rendre des comptes de manière beaucoup plus stricte et à faire preuve de plus de transparence, ce qui devient de plus en plus important pour les investisseurs, notamment en ce qui concerne les données non financières. Par exemple tout ce qui concerne la durabilité et les normes ESG. Les entreprises immobilières cotées sont en effet tenues d'établir des rapports détaillés sur leur responsabilité sociale, et sur leur stratégie pour arriver aux objectifs de durabilité fixés par la Confédération (avec, en ligne de mire, un net zéro carbone pour 2050). Si elles devaient sortir de la bourse, on peut craindre que cette transparence diminue.
En conclusion, un durcissement de la Lex Koller pour les sociétés immobilières cotées en bourse ne permettra pas de résoudre la pénurie de logements. Pour les clients de Swiss Finance & Property SA (SFP), qui gère principalement des actifs pour des institutionnels suisses, la décotation potentielle supprimerait une brique importante, nécessaire à la construction de leur portefeuille, ce qui pourrait impacter les rendements. De toute manière, les investisseurs, tout comme les sociétés immobilières, ont appris à gérer les exigences de la Lex Koller. Dans ce contexte, un durcissement ne ferait que générer de nouvelles incertitudes, augmenter les risques, sans résoudre les problèmes actuels de l'immobilier résidentiel.
Robert Sekula, Swiss Finance & Property Group (SFP Group)