
Actrices essentielles de l’univers de l’immobilier titrisé, les banques dépositaires restent pourtant méconnues. Cette série d’articles veut lever le voile, en commençant par les activités du Fund & Immo Desk de la BCV, véritable salle des marchés des fonds immobiliers, qui s’occupe de toutes les transactions que ce soit sur le marché primaire ou sur le marché secondaire. Le Desk accompagne les fonds dans toutes les étapes importantes de leur vie, de leur naissance à leur entrée en bourse, en passant par les augmentations de capital ou les apports en nature, les swaps. Sans oublier la gestion de la liquidité des parts de fonds sur le marché secondaire.
La banque dépositaire de la BCV fête ses 20 ans d’activité dans l’immobilier titrisé. Depuis 2005, elle a accompagné la renaissance du secteur. Pourtant, malgré son importance pour toute l’industrie, elle reste une actrice de l’ombre, et l’on méconnaît souvent l’importance de ses activités et sa valeur ajoutée pour la clientèle.
Afin de faire sortir ces activités de l’ombre, nous allons interroger, dans une série d’articles, les responsables des principaux secteurs de la banque dépositaire, en commençant par Bruno Mathis, depuis 2020, Head Fund & Immo Desk.
Bruno Mathis, commençons par le commencement: c’est quoi le Fund & Immo Desk de la banque dépositaire de la BCV?
Pour faire simple, nous sommes la salle des marchés pour les fonds, pour les valeurs mobilières et immobilières, dont nous gérons toutes les transactions que ce soit sur le marché primaire ou le marché secondaire.
Vous êtes une équipe importante?
Nous sommes six personnes. Trois s’occupent principalement des valeurs mobilières et trois des véhicules immobiliers, avec une certaine polyvalence pour quelques activités.
Votre activité n’est donc pas uniquement focalisée sur les véhicules immobiliers?
Pour les valeurs mobilières, nous suivons plus d’une centaine de fonds, non seulement ceux de la BCV, mais aussi ceux de tiers, notamment d’autres banques cantonales latines, des banques privées ou encore de gérants de fonds indépendants. C’est une part importante des activités du Desk, puisque nous traitons environ 20 000 transactions par mois sur les valeurs mobilières, un volume qui a plus que doublé ces cinq dernières années.
Et pour les véhicules immobiliers?
En tout, nous suivons 27 fonds immobiliers, une dizaine de fondations immobilières et quelques SCmPC. Nous avons aussi participé au lancement du premier L-QIF immobilier de Suisse.
Pour ces véhicules immobiliers, vous vous occupez des transactions sur les marchés primaire et secondaire. Comment résumer les différences entre ces deux marchés?
Le marché primaire concentre toutes les transactions qui changent la structure des fonds propres. Par exemple, des rachats de parts ou l’émission de nouvelles parts via une augmentation de capital. Dans ces types de transactions, on va augmenter ou diminuer les fonds propres et le nombre de parts en circulation. Sur le marché secondaire, la structure capitalistique du fonds n’est, en revanche, pas touchée. Il s’agit d’un transfert de parts existantes, contre paiement bien entendu, entre deux investisseurs.
Pour un fonds immobilier, quels sont les principaux événements qui touchent le marché primaire?
Ces derniers mois, nous avons essentiellement traité des augmentations de capital. Mais il y a aussi les apports en nature (les swaps) et les introductions en bourse. Ceci bien qu’une introduction en bourse ne soit pas à proprement parler une transaction sur le marché primaire. J’ajoute: le lancement d’un nouveau produit, les fusions et les rachats de parts – qui étaient plus nombreuses entre 2023 et 2024, après l’envolée des taux d’intérêts de 2022, qu’aujourd’hui. N’oublions pas la disparition d’un fonds lorsqu’il est dissous. C’est très rare, mais ça arrive. Bref, on peut dire que l’on accompagne les fonds durant toute leur existence, de leur naissance à leur éventuelle liquidation.
Pour toutes ces opérations, vous avez la charge de la partie opérationnelle. Êtes-vous aussi en contact avec les investisseurs?
Bien entendu. Pour toutes ces transactions, nous sommes le point d’entrée pour les investisseurs, ou leurs banques respectives. Ils nous font part de leur intérêt d’investissement pour un fonds, lors d'une souscription par exemple, ou de leurs questions concernant une opération. Nous sommes également en contact avec ces mêmes investisseurs en ce qui concerne les achats ou les ventes de parts sur le marché secondaire.
Passons donc au marché secondaire. Quelle en est la définition?
Comme on l’a dit, le marché secondaire concerne les transactions qui ne changent pas la structure capitalistique du fonds, les achats et ventes de parts. Ce sont des échanges de parts entre les investisseurs. Le nombre de parts en circulation n’est donc pas modifié. Lors de ces transactions, nous réalisons un travail de coordination essentiel pour les fonds immobiliers, en particulier pour les fonds non cotés, et pour les investisseurs. Parfois, ça se passe en étroite collaboration avec les directions et les gestionnaires de fonds.
Vous faites aussi le travail de market maker…
Oui, c’est un des services que propose la banque dépositaire de la BCV. La LPCC oblige les directions de fonds ou les SICAV d’organiser un marché secondaire, en bourse ou hors bourse, pour les fonds immobiliers, via une banque ou une maison de titres. Selon le marché, les transactions s’organisent de manière différente. Pour ce qui est du marché des fonds non cotés, nous nous occupons de toute la coordination du flux des ordres. Quand nous recevons un ordre d’achat ou de vente, il est enregistré dans notre livre des ordres. Nous vérifions si nous pouvons l’exécuter immédiatement avec un ordre existant. Sinon, on cherche une contrepartie. Parmi les contreparties possibles, la BCV en est une, via le compte nostro spécialement dédié à l’activité de market making. Il faut savoir que nous jouons ici le rôle d’intermédiaire: il n’y a pas de garantie de transaction sur le marché secondaire des fonds non cotés.
Les transactions pour les fonds cotés en bourse se déroulent-elles de manière différente?
Effectivement, dans ce cas, le rôle du Fund & Immo Desk est plus passif. Les investisseurs souhaitant effectuer une transaction passent directement par la plateforme de la bourse. Le rôle du market maker consiste alors à vérifier qu’une certaine liquidité est disponible, et de veiller à ce que les échanges se déroulent de manière fluide, sans écarts anormaux qui pourraient éventuellement déclencher un stop trading.
Des transactions qui n’arrivent pas à se conclure, ça arrive souvent?
Sur le segment des fonds non cotés, oui, bien sûr, ça arrive. Comme en bourse, d’ailleurs. Parfois, un investisseur place un ordre avec une limite, qui ne trouve pas de contrepartie. Il faut être un peu patient: on trouve souvent une solution, mais ça peut prendre du temps. De toute manière, nous conservons les ordres dans notre registre des ordres, jusqu’à ce que l’on constate un intérêt de la part d’un investisseur, ou jusqu’à ce que l’ordre soit retiré par le donneur d’ordre.
Vous vous occupez aussi de fondations de placement. Le marché secondaire est-il le même que pour les fonds non cotés?
La logique est complètement différente avec les fondations, aussi bien sur le marché primaire que sur le marché secondaire. La coordinatrice principale lors d’une transaction est la fondation elle-même. Aucune transaction, ni primaire ni secondaire, ne peut se faire sans son accord. Sur le marché primaire, lors de levées de capital, elle est aussi l premier contact pour les investisseurs. Ensuite, en ce qui concerne les transactions sur le marché secondaire, il ne s’agit pas d’achat ou de vente de parts, mais d’une cession entre un investisseur et un autre investisseur, organisée par la fondation, qui doit donner son accord. Une part de fonds immobilier peut, en revanche, être achetée ou vendue sans l’accord de la direction de fonds. Ainsi, dans le cas d’une fondation de placement, nous ne nous occupons que de la partie administrative. Ce qui revient à émettre les droits sur le marché primaire et coordonner le transfert lors de cessions, selon les indications données par la fondation, en coordination avec les banques des investisseurs. Puis, nous mettons à jour le registre des investisseurs.
Pour l’instant, on a beaucoup parlé de travail transactionnel, mais avez-vous aussi des activités de conseils auprès des véhicules immobiliers?
Oui. Et c’est même une grande partie de nos activités! Nous discutons avec les fonds du momentum du marché, du timing des opérations ou de leur optimisation technique.
Ces conseils sont-ils appréciés par la clientèle?
Sans conteste. Avec le temps, nous avons accumulé beaucoup d’expérience, et nous continuons à en accumuler avec le lancement de nouveaux produits. Nous avons souvent été pionniers dans le domaine, je pense notamment à la première SICAV immobilière, et au premier L-QIF immobilier. Ce positionnement nous permet d’acquérir de nouvelles connaissances, puis de faire profiter nos clients de toutes nos compétences, de nos best practices. Elles sont particulièrement recherchées dans le cas d’opérations moins habituelles, comme un swap, qui nécessitent parfois plus de discussions en amont, afin que la direction de fonds ait toutes les clés en main pour réussir l’opération.
Ces conseils, ces accompagnements techniques, ça coûte combien?
Entre la commission pour les activités de banque dépositaire, les commissions d’émissions, les différents services demandés par le fonds, les coûts représentent quelques points de base de la valeur du portefeuille immobilier du fonds.
Terminons par notre question rituelle pour cette série d’entretiens: comment décrire une journée de travail du Fund & Immo Desk?
Quand on s’occupe d’immobilier titrisé, tous les jours sont différents. Il n’y a pas de routine. En fait, notre travail s’apparente à la gestion d’un portefeuille de projets. Nous avons en permanence plusieurs transactions ouvertes sur le marché primaire. Elles nécessitent toutes un degré d’attention et d’accompagnement particulier, et sont toutes à un stade d’avancement différent. À cela s’ajoutent d’autres projets, comme des IPO ou la structuration et la préparation du lancement d’un nouveau fonds. Et, il y a bien entendu encore le marché secondaire. Un marché très dynamique, où les transactions se règlent parfois en quelques instants. Bref, un gros travail, différent pour chaque opération, qui prend souvent plusieurs mois. Ainsi, on ne peut pas parler de journée type, et c’est d’ailleurs ce qui rend notre travail passionnant.
Rédaction Immoday
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