Philippe Neri: «Une correction du marché n'est pas impossible. Plusieurs feux sont passés au rouge»
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Philippe Neri: «Une correction du marché n'est pas impossible. Plusieurs feux sont passés au rouge»

Interview 8 min Redaktion • Immoday.ch
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La fusion entre Credit Suisse et UBS fait peser un risque systémique sur tout l'immobilier titrisé, la banque contrôlant désormais près de 50% du marché des fonds immobiliers cotés. Pour limiter ce risque, la Finma devrait exiger la création d'une direction de fonds indépendante. Parallèlement, le rendement des fonds ne cesse de baisser suite à l'envolée des agios et du prix des immeubles. Et pourtant, tous veulent continuer de croître, malgré un marché sec. Dans ce contexte, un retournement des taux (certes peu probable sur le court terme mais pas impossible sur le long terme) serait destructeur pour tout le secteur.

Il y a une vingtaine d'années, Philippe Neri a participé à la création de Realstone, dont il a été le CEO jusqu'en 2009, avant de vaquer à d'autres occupations. Mais il a toujours gardé un œil sur l'immobilier titrisé, avec aujourd'hui un discours critique sur la fusion Credit Suisse - UBS qui a permis la création d'un géant hégémonique, entre autres, dans le secteur des fonds de placement immobiliers.

Philippe Neri, en quoi le poids de la nouvelle UBS dans l'immobilier titrisé est-il un problème?

On se retrouve aujourd'hui avec un seul acteur qui contrôle quasiment 50 % du marché des fonds immobiliers cotés, ce qui représente un risque systémique. Sans parler du poids de la banque dans les hypothèques, un autre risque systémique. 

Pourtant, un fonds immobilier possède  uniquement des actifs tangibles, solides, bref sans grand risques.

Juridiquement, le propriétaire de ces actifs immobiliers, qui valent des dizaines de milliards de francs, c'est la direction de fonds qui, dans le cas qui nous préoccupe, est 100% possédée par UBS. Dès lors, que se passerait-il si UBS chancelle? Tout l'immobilier qu'elle possède via sa direction de fonds risque de vaciller lui aussi. Et ne me dites pas qu'UBS ne court aucun risque. N'oubliez pas qu'en 2008, après la crise des subprimes, il a fallu une injection de près de 6 milliards de francs de la Confédération pour la sauver. Sans oublier, en 1998, la fusion avec SBS, qui a tiré UBS d'un mauvais pas, la banque ayant subi des pertes importantes lors de la faillite du hedge fund LTCM. 

D'accord, mais en 2008 les fonds immobiliers ont tenu le coup. Le risque n'est donc pas là.

C'est avoir la mémoire courte. Rappelez-vous qu'en 2008 le taux de référence de la BNS était de 2,75%, et que la plupart des fonds immobiliers tiraient la langue. Les institutionnels préféraient les obligations de la Confédération, sans risque. Les fonds immobiliers ont en fait été sauvés par la crise des subprimes et la baisse du taux de référence de la BNS, qui a chuté à 0,5 % en quelques mois, c'est-à-dire une baisse encore plus rapide que celle de ces deux dernières années. Dans les deux cas, le retournement a provoqué une ruée sur les fonds immobiliers et entraîné l'envolée des agios.

Que faudrait-il faire alors pour limiter ce risque UBS ?

Pour la banque en général? Séparer les activités suisses et étrangères. Évidemment, le Gouvernement ne va jamais exiger ça d'UBS.

Et pour l'immobilier?

Établir une direction de fonds indépendante, basée en Suisse. Ce qui permettrait également d'éviter des problèmes juridiques si UBS, comme elle l'a menacé, déménageait son siège aux États-Unis.

Quels problèmes juridiques?

La Lex Koller est claire : s'il y a une influence étrangère prépondérante, la société ne peut pas posséder d'immobilier résidentiel, que ce soit directement ou via une direction de fonds ou une fondation immobilière. Mais, à vrai dire, l'esprit de cette loi n'est pas vraiment respecté, on le voit par exemple avec le cas AXA Winterthur, détenue à 100% par une entreprise française, et qui pourtant possède de l'immobilier, y compris titrisé.

Depuis au moins 1998 et la fusion avec SBS, UBS avait déjà une position dominante, mais cela n'a pas empêché le secteur des fonds immobiliers de se développer, ni de nouveaux acteurs d'apparaître.

Effectivement, mais le secteur est aujourd'hui très différent. Les investisseurs institutionnels préfèrent les fonds géants qu'ils considèrent moins risqués, grâce à leur portefeuille plus diversifié, et plus liquides, grâce à leur taille. On l'a d'ailleurs vu ces dernières années, les nouveaux fonds ont eu énormément de problèmes à lever des capitaux. Même les petits fonds établis ont eu la vie est moins facile : s'ils veulent faire une augmentation de capital, ils doivent déjà avoir des immeubles sécurisés dans leur pipeline. Et même, dans certaines villes comme Lausanne, avoir passé l’obstacle du droit d’emption.

Des fonds moins risqués et plus liquides, c'est plutôt un bon deal pour les investisseurs.

Sauf que cette liquidité est en partie un leurre. On l'a vu lors de la brusque remontée des taux en 2022 : s'il y avait beaucoup de vendeurs, il n'y avait plus guère d'acheteur sur le marché. Certains gérants ont même dû vendre à perte des immeubles pour satisfaire les demandes de remboursement des porteur de parts. On l'avait d'ailleurs déjà vu en 2008 : en cas de crise, il n'y a plus liquidité sur le marché, personne ne voulant acheter.

Pourtant, on assure que l'immobilier est décorrélé du reste du marché.

Sur le long terme et quand tout va bien, plus quand le marché s'effondre. 

Outre une augmentation de la liquidité, la fusion des fonds Credit Suisse et UBS permet aussi des synergies dans les équipes et une diminutions des coûts de gestion.

En théorie, oui, mais on verra si cette diminution des coûts va bénéficier au client final ou simplement augmenter les marges de la banque. En outre, à partir d'une certaine taille, on peut se demander si les équipes arrivent vraiment à valoriser leur portefeuille immobilier ou si elles ne font que gérer les affaires courantes.

À l'évidence les investisseurs ne sont pas d'accord avec votre analyse, au vu de la demande que l'on constate pour les fonds UBS, dont les agios dépassent parfois 50%.

C'est qu'il y a une anomalie dans ce marché. En effet, l’agio est la prime payée par l'investisseur en dessus de la VNI, VNI qui représente la valeur des biens dans un marché normal. Donc acheter un fonds avec 50% d'agio, c'est comme acheter un bien immobilier 50% plus cher que le marché.

Alors comment expliquer que malgré ces agios si élevés, il y a toujours une telle demande pour les fonds immobiliers ?

Les investisseurs ne sont pas vraiment intéressés par l'actif immobilier, plutôt par le rendement stable de fonds considérés comme une alternative aux obligations de la Confédération. Cette forte demande pousse les agios à la hausse, mais aussi, mécaniquement, les rendements à la baisse. D'autant plus que l'on est dans un marché immobilier sec où néanmoins les fonds ne cessent de chercher à grandir. Il suffirait d'un retournement des taux pour que ce château de cartes s'effondre.

On a pourtant vu une forte hausse des taux en 2022, mais les fonds immobiliers ont résisté.

Vraiment ? Même si la hausse a été brève, l'agio moyen s'est effondré, approchant 0% pendant cette période. Sans oublier qu’entre 1987 et 1993 l'agio moyen des fonds immobiliers était négatif, preuve qu'un investissement dans les fonds immobiliers n'est pas toujours aussi solide qu'on pourrait le croire.

Quoi qu'il en soit, avec un spread d'environ 200 points de base, les institutionnels n'ont pas le choix, ils vont continuer de miser sur les fonds immobiliers.

Pour l'instant oui, mais, comme on l'a dit, les rendements baissent, et ils devraient continuer de baisser avec des prix de l'immobilier en hausse, d'importants coûts de rénovation à prévoir et plusieurs initiatives qui veulent limiter les loyers. Bref, l'avenir des rendements immobiliers n'est pas rose. Dans ce contexte, à partir de quel spread les investisseurs vont-ils décider de changer leur fusil d'épaule ? Abandonner un investissement immobilier finalement plus risqué que prévu - et encaisser au passage leur plus-value, faisant baisser rapidement l’agio - pour acheter des obligations de la Confédération, avec certes un rendement moindre mais sans risque?

Donc vous pensez qu'une correction est possible?

Disons qu'elle n'est pas impossible, plusieurs indicateurs qui étaient au vert sont passés à l'orange voire au rouge. Il faut faire d'autant plus attention que l'ampleur de cette correction pourrait être accentuée par le risque systémique dont nous avons parlé en début de notre discussion : la forte concentration du secteur entre les mains d'un seul acteur, UBS, qui, par le passé, a plusieurs fois montré sa fragilité.

Rédaction • Immoday.ch

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