Traitement fiscal des opérations de "Sale and Leaseback"

Traitement fiscal des opérations de "Sale and Leaseback"

Interview 9 min Thierry de Mitri

Peut-on neutraliser la plus-value immobilière au moyen d’une provision ? Le Tribunal fédéral répond par la négative.

Ces dernières années, de nombreuses entreprises ont souhaité entrer dans des opérations de « Sale and Leaseback » en matière immobilière. Certaines sociétés ont cédé des immeubles d’exploitation ou leur siège social à des partenaires financiers ou autres acteurs du monde immobilier en concluant de manière concomitante un contrat de bail permettant d’utiliser les locaux ainsi cédés.

Sous l’angle financier, ces opérations permettent de dégager des liquidités pour la société tout en continuant de jouir de l’usage du bien immobilier. En outre, ces contrats sont souvent conclus avec la possibilité pour la société cédante de racheter le bien immobilier en tenant compte d’une valeur résiduelle à l’issue du contrat de leasing.

Cependant, ces opérations sont de nature à dégager les plus-values immobilières dès lors que l’actif immobilier est détenu par la société cédante pendant un certain nombre d’années. Il se pose dès lors la question de savoir si une provision visant à neutraliser la plus-value immobilière pourrait être admise fiscalement l’année de la vente immobilière afin de tenir compte de la durée du contrat. Dans un arrêt récent du 4 mars 2021 (2C_712/2020), le Tribunal fédéral (TF) s’est prononcé sur l’admissibilité d’une telle provision dans le cadre d’une opération de « Sale and Leaseback » et a réfuté le caractère commercialement justifié d’une telle provision.

L’état de fait est relativement simple. Une société procède en 2014 à la vente de son immeuble d’exploitation en faveur d’une fondation d’institution de prévoyance professionnelle pour un montant de CHF 17'000’000. De manière concomitante, les parties signent deux autres conventions, soit (1) un contrat de bail en faveur la société venderesse d’une durée initiale de 20 ans portant sur un loyer annuel de CHF 825'600 et (2) une promesse de vente et d’achat au terme de laquelle la société venderesse s’engageait à racheter l’immeuble de manière irrévocable au prix de CHF 17'000'000 indexé uniquement en cas de hausse de l’indice suisse des prix à la consommation. L’exécution de la promesse pouvait être demandée par chacune des parties en tout temps, mais dans un délai maximum de 20 ans.

L’opération de vente est mise en œuvre et la société venderesse réalise un bénéfice en capital d’environ CHF 10’000'000. Le prix de la vente a permis de rembourser la dette hypothécaire, faire des investissements et le solde est réservé afin de financer l’achat en cas d’exécution de la promesse de vente signée entre les parties. La société soumet une demande d’accord fiscal préalable auprès des autorités fiscales genevoises afin de solliciter que cette opération ne soit pas considérée comme une vente effective du fait que la société demeure économiquement propriétaire du bien immobilier ou, à défaut, qu’elle puisse comptabiliser une provision pour remploi. L’Administration fiscale cantonale (AFC) refuse les aspects de la demande.

Lors du dépôt de la déclaration d’impôt 2014, la société genevoise comptabilise une provision dénommée « provision produits différés » de CHF 9'590'258 équivalente au gain comptabilisé suite à la vente permettant ainsi sa neutralisation. Cette provision devait être dissoute, année après année, à concurrence du loyer annuel, soit pour un montant annuel d’un vingtième correspondant au montant du loyer annuel. Il y avait donc une neutralisation de la charge de loyer grâce à la dissolution de la provision.

L’AFC procède au redressement de cette provision et l’ajoute au bénéfice imposable.

La société contribuable dépose une réclamation puis des recours auprès du Tribunal administratif de première instance et la Cour de justice, sans succès. Le TF doit se prononcer sur la question de savoir si cette provision est admissible fiscalement dans les comptes de la société venderesse.

Selon les instances précédentes, la comptabilisation d’une telle provision n’avait que pour but de neutraliser le gain en capital et la jugeait donc contraire au principe de périodicité. De son côté, la société estime que cette provision est nécessaire au regard de la norme comptable Swiss GAAP RPC 13 de sorte qu’elle remplit par définition la condition de justification commerciale au sens de l’art. 58 al. 1 let. b LIFD.

À titre préalable ; le TF rappelle de jurisprudence constante que le droit fiscal renvoie au droit comptable pour déterminer le bénéfice imposable (art. 57 et 58 al. 1 let. a LIFD). Ainsi, les comptes établis conformément aux règles du droit comptable lient les autorités fiscales, à moins que des normes impératives du droit commercial ne soient violées ou que des normes fiscales correctrices permettent de rectifier le résultat imposable.

Selon le TF, le respect d’une norme comptable impérative est une condition nécessaire mais non suffisante en droit fiscal. Il convient encore d’examiner si cette provision est justifiée sous l’angle commercial au niveau fiscal. Ainsi, il y a lieu de vérifier qu’aucune norme correctrice permette de réintégrer dans le résultat fiscal des éléments qui n’apparaitraient pas dans les comptes commerciaux ou permettant de refuser une charge comme une provision.

Le TF rappelle qu’il est vrai qu’une provision qui répond à la définition de l’art. 960e al. 2 CO est justifiée commercialement et doit être reconnue fiscalement. Pour mémoire, cette dernière disposition prévoit que « lorsque, en raison d’événements passés, il faut s’attendre à une perte d’avantages économiques pour l’entreprise lors d’exercices futurs, il y a lieu de constituer des provisions à charge du compte de résultat, à hauteur du montant vraisemblablement nécessaire ». Cela ne signifie pas encore que la provision en question doit être fiscalement reconnue.

Il n’est pas déterminant que la provision ait été exigée par l’auditeur sur la base du respect de la norme RPC 13 qui prévoit précisément la comptabilisation de la provision contestée. Cette provision ressort d’une obligation découlant des art. 962ss CO qui obligent certaines sociétés à présenter des états financiers selon les normes comptables reconnues en sus des comptes annuels statutaires qui sont seuls déterminants. Les états financiers établis selon une norme comptable ne sont pas déterminants fiscalement même si la norme comptable a pour vocation de donner aussi fidèle que possible de la réalité économique (système du « true and fair view »).

Ainsi, c’est à juste titre que les autorités fiscales ont appliqué la norme correctrice de l’art. 63 LIFD qui permet la comptabilisation d’une provision pour les engagements nés durant l’exercice dont le montant est encore incertain. Si le principe de périodicité n’est pas respecté parce que la provision couvre une charge future, la provision peut être dissoute d’office par l’autorité fiscale (art. 63 al. 2 LIFD).

Or, dans le cas d’espèce, la société venderesse n’apporte pas de preuve d’un risque imminent ou d’un engagement incertain qui serait né durant l’exercice comptable 2014. La provision exigée par l’auditeur répond à une norme comptable au sens de l’art. 962ss CO et à la norme RPC 13, mais n’entre pas dans le cadre de l’art. 960e CO qui permet d’établir les comptes statutaires seuls déterminants en droit fiscal. Il apparaît donc que cette provision a été constituée en vue d’une utilisation future et qu’elle s’apparente donc à une réserve. Il se justifie donc de refuser cette provision fiscalement.

Cet arrêt est très intéressant dans la mesure où le TF prend position sur les interactions entre une norme comptable et les états financiers établis selon les règles habituelles du droit comptable. Il arrive fréquemment que des sociétés tiennent leurs comptes selon des normes comptables et doivent procéder à des redressements au niveau statutaire, particulièrement dans la perspective du dépôt de la déclaration fiscale. Ainsi, le TF n’accepte pas dans le cas d’espèce l’application d’une norme comptable de type Swiss GAAP alors que notre Haute Cour s’en était inspirée au moment d’analyser le traitement fiscal des écarts de conversion du fait que la monnaie fonctionnelle (par exemple USD) différait de la monnaie légale (voir ATF 136 II 88). Dans cette jurisprudence, le TF s’était appuyé sur la norme IFRS.

On constate que la société n’a pas souhaité soutenir qu’il s’agissait d’une provision pour remploi (comme elle a tenté de le faire lors du dépôt de l’accord fiscal préalable auprès de l’AFC). Une provision pour remploi est admissible fiscalement que si le réinvestissement a lieu dans un délai raisonnable, soit en règle générale deux ans. Dans le cas présent, le réinvestissement aurait eu lieu selon un horizon nettement plus long.

Cet arrêt ne manquera pas de susciter un grand intérêt dès lors de plus en plus de sociétés s’engagent dans des opérations de « Sale and Leaseback » afin de dégager des liquidités pour des investissements et attirer des investisseurs en quête de rendements immobiliers.

Diplômé de droit et de HEC, Thierry De Mitri bénéficie de 20 ans d’expérience comme expert fiscal diplômé.

Il travaille actuellement comme conseiller fiscal au sein de son propre cabinet et aide ses clients à résoudre des problèmes fiscaux spécifiques, relatifs à la fiscalité suisse et internationale, dans le domaine privé et commercial.

En parallèle à son activité indépendante, Thierry De Mitri est également chargé de cours auprès de diverses institutions, administrateur de sociétés et est régulièrement conférencier dans des séminaires touchant à des thèmes de fiscalité actuelle.

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