
Si les problèmes techniques soulevés par les travaux et les rénovations nécessaires après l'achat d'un immeuble sont souvent discutés, leurs conséquences juridique et économique le sont nettement moins. Et pourtant, contrairement à ce que l'on pourrait penser, la réalisation de travaux, en particulier énergétiques, n’induit pas, sauf à de rares exceptions, d’augmentation de valeur de l’immeuble. En outre, si les règles actuelles du droit du bail permettent de rentabiliser les travaux de rénovation, c’est souvent dans une moindre mesure que ce qui est perçu par les acteurs immobiliers. Le sujet a été débattu fin mai, lors d'une table ronde organisée par Coptis et Immobilis Consulting.
La question des travaux, et en particulier énergétiques, que les propriétaires doivent réaliser après l'achat d'un nouvel immeuble est trop souvent discutée d’un point de vue uniquement technique. En effet, les conséquences juridiques et économiques de ces travaux sont peu abordées, ont regretté les experts réunis lors d'une table ronde, fin mai, à Lausanne, organisée par Coptis, l'Association suisse des professionnels en titrisation immobilière, et par Immobilis Consulting, spécialisé dans l'expertise immobilière.
Trois experts du secteur ont expliqué les conséquences d’un prix d’achat trop élevé : Eric Bron, Responsable du domaine préservation du parc locatif auprès de la Direction du logement du canton de Vaud, Sarah Perrier, Avocate, Fondatrice de l’étude LEGAcité, spécialiste en droit du bail et de la construction et Laurent Breit, d’Omnia Immobilier, Conseiller en acquisition et en accompagnement des investisseurs.

Interview avec Grégory Buchs, administrateur associé chez Immobilis Consulting, et modérateur de ladite table ronde.
Grégory Buchs, quand on acquiert un immeuble, en particulier un immeuble ancien, le prix d'achat devrait évidemment prendre en compte tous les coûts des travaux et rénovations nécessaires à la remise en état du bien, en particulier en ce qui concerne la durabilité. Vous affirmez que ce calcul, du moins pour son impact économique, n'est pas forcément fait dans toutes les règles de l'art par certains investisseurs ?
On constate effectivement que les travaux futurs, pour un immeuble récent ou ancien, sont trop souvent sous-estimés et reportés dans le temps, ce qui ne correspond pas forcément au besoin réel en travaux. Pour un investisseur, l’important est que l’estimation valide le prix d’acquisition. Un expert pourrait être tenté « d’ajuster » la valeur en reportant des travaux dans le temps, ce paramètre étant aisé à manipuler dans une DCF sans que cela ne soulève trop de questions.
Alors, comment faire les bons calculs pour avoir une estimation réaliste du coût total de l'immeuble ? Sachant que, souvent, le temps manque pour faire une analyse approfondie du bien, sachant aussi qu'il faut parfois être très rapide pour saisir les bonnes opportunités.
Une estimation précise peut être faite de manière rapide, pour autant qu’une bonne base documentaire soit à disposition, ce qui est le cas la plupart du temps, et que l’expert dispose des connaissances et de l’expérience nécessaire. De toute manière, libre à chaque investisseur de déterminer si le délai de réponse qui lui est laissé par le vendeur est suffisant ou non pour prendre une décision éclairée.
Finalement, qu’importe le prix d'acquisition puisque tous les travaux de rénovation, en particulier en ce qui concerne la durabilité, vont augmenter du même montant la valeur du bien. À la fin, l'acquéreur s'en sort sans problème.
Il n’y a pas de lien mécanique entre le montant des travaux investis et la prise de valeur du bien. Il faut prendre en compte l’aspect juridique de la répercussion des travaux à plus-value et la capacité du marché à absorber une hausse des loyers. Car, au final, c’est bien la hausse de cash-flows qui apportera de la valeur. L’état du bâtiment avant travaux est aussi un point important. Une amélioration, une rénovation partielle ou totale ou un rattrapage d’entretien, n’aura pas le même impact sur l’évolution de la valeur. Sans parler de certaines formes d’obsolescence qu’on ne pourra jamais totalement supprimer.
Plutôt que de faire tous ces calculs, ne faut-il pas faire simplement confiance à l'efficience du marché, qui normalement a dû intégrer la durabilité d'un immeuble dans son prix, comme il a intégré la vétusté ou la localisation ? En France on observe, par exemple, qu'une passoire énergétique est décotée d'environ 30% et qu'un immeuble très durable affiche une prime d'environ 25%, par rapport au prix moyen.
L’efficience du marché implique que les acteurs du marché, donc acheteurs comme vendeurs, aient toutes les informations utiles à la décision. Aujourd’hui le marché est fortement focalisé sur la durabilité, sans prendre en compte d’autres éléments, notamment le droit du bail ou la capacité des locataires à payer des loyers plus élevés. Concernant la durabilité, un immeuble labélisé Minergie par exemple est plus coûteux à exploiter qu’un immeuble non labélisé. Est-ce correct qu’il bénéficie d’une surcote, alors que les cash-flows ne sont pas impactés positivement ?
Dans un marché aussi tendu, les investisseurs ont-ils vraiment le choix de discuter du prix d'acquisition ?
Ce qui est certain, c’est que sans information ou sans argument, marché tendu ou non, un acheteur ne peut pas négocier efficacement. Ceci dit, le marché est tendu à certains endroits, mais il reste des opportunités dans d’autres endroits où il est plus détendu. Le marché n’est pas homogène en termes de pénurie. Comme pour tout investissement, un investisseur doit arbitrer entre la sécurité et le rendement. Un immeuble situé dans un marché en pénurie est plus sûr mais moins rentable, et inversement dans un marché détendu.
Vous affirmez qu'un prix d'acquisition trop élevé est un handicap économique pour l'investisseur, qui va obérer le rendement du bien sur le long terme. Mais, pour la plupart de ces investisseurs, qu'importe si le prix d'acquisition du bien est trop élevé, ils assurent qu'ils arriveront ensuite à rentabiliser leur investissement sur la durée. Par exemple en augmentant les loyers, suite aux rénovations. Comme le permet d'ailleurs le droit du bail. Ce qui va permettre de doper les rendements.
La question est de savoir jusqu’à quel point les locataires seront capables de supporter des hausses de loyers. On voit que la situation se tend entre propriétaires et locataires, phénomène qui remonte au niveau politique. Les procédures en conciliation et devant les tribunaux ont explosé ces 12 derniers mois, même dans des régions habituellement calmes au niveau des contestations. Plusieurs projets politiques (initiatives, motions, …) sont en discussion, tant du côté des propriétaires que des locataires.
Même si le rendement de l’immeuble est bas, c'est toujours mieux que les rendements obligataires actuels. D’ailleurs, avant la remontée des taux d’intérêt, en 2022, certains biens avaient été acquis avec des promesses de rendements nets inférieurs à 2%. Et les fonds qui les ont acquis n’en sont pas morts.
En comparaison avec des obligations de la Confédération par exemple, il est bien sûr normal que le rendement sur un immeuble soit plus élevé, car la gestion d’un immeuble est complexe, coûteuse et comporte plus de risque qu’une obligation de bonne qualité. Et, contrairement à ce que vous dites, certains véhicules immobiliers ont connu des difficultés ou ont même dû cesser leurs activités, avec des investissements effectués durant une période où les prix étaient trop élevés et ne permettaient pas de générer un rendement suffisant pour assurer une gestion pérenne des immeubles. On peut ajouter que certains acteurs sont contraints de recourir à des levées de fonds ou de l’endettement supplémentaire pour financer certains travaux de rénovations, l’immeuble n’étant pas en mesure de générer suffisamment de cash-flow pour couvrir ses charges d’entretien et de rénovations.
Avec la croissance constante des prix de l'immobilier, un jour ou l'autre le bien à acquis prendra de la valeur, ce qui relativise l'importance de son prix d'achat. Pour des entités qui conservent leurs biens parfois pendant des dizaines d'années, le prix d'acquisition n'est donc pas un problème, même s'il n'intègre pas complètement le coup des travaux de rénovation.
Un immeuble doit pouvoir générer seul les revenus suffisants pour couvrir toutes les charges y compris les travaux de rénovation, sans quoi des apports de fonds supplémentaires seront nécessaires dans le futur pour pallier aux rendements trop faibles pour entretenir et rénover l’immeuble. A noter que l’augmentation de la valeur d’un immeuble ne génère pas de liquidités. La seule manière de transformer une augmentation de valeur en liquidités serait de vendre l’immeuble. Or, après avoir vendu le bien, que faire de la liquidité générée ? Investir dans un nouvel immeuble. Mais l’immeuble nouvellement acquis présentera les mêmes caractéristiques que celui précédemment vendu. Donc l’investisseur n’a pas réglé son problème de prix d’achat trop élevé par l’augmentation de valeur de son immeuble.
Donc, pour vous, attendre que la valeur du bien immobilier grimpe n'est pas la bonne stratégie ?
Effectivement, et ceci est vrai pour tout type d’investissement : compter sur une hausse de la valeur pour compenser un éventuel prix d’achat trop élevé s’appelle de la spéculation. Est-ce vraiment ce qu’attendent les assurés d’une caisse de pension pour la gestion de leurs avoirs de retraite ?
Rédaction Immoday
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