
Pour préserver leur indépendance et un contrôle total, certains promoteurs de véhicules de placements immobiliers choisissent d’avoir une direction de fonds à l'interne. Ce qui exige une organisation claire et des responsabilités bien définies. Et surtout, cela nécessite une taille minimale pour que l’activité de direction de fonds soit rentable sur la base des revenus récurrents générés par le fonds de placement.
Au fil de notre enquête sur les directions de fonds, on constate deux quasi constantes: d’une part, les petits fonds, qui, en général, adoptent la solution d'une direction de fonds externe, pour des questions de coûts et de compétences. De l’autre, les très gros fonds, qui préfèrent tout internaliser, une solution plus efficace et plus économique dès que l'on a atteint une certaine taille. Entre les deux, on trouve des véhicules qui continuent de privilégier une direction de fonds externe, et d'autres qui ont décidé, après mûre réflexion, d'opter pour la solution interne. C'est le cas de Cronos Finance SA qui gère le Cronos Immo Fund (une capitalisation boursière de 940 millions de francs et un agio de 13 %, fin mars 2025). Le fonds a été créé en 2016 et la société a obtenu une licence de direction de fonds en 2019. Claudio Müller, directeur du Département direction de fonds chez Cronos Finance SA nous explique les raisons de cette décision stratégique.
Claudio Müller, beaucoup de fonds indépendants préfèrent collaborer avec une direction de fonds alors que vous avez fait le choix d’exercer et reprendre cette fonction en interne, pourquoi ?
Avant d’entrer dans les détails, il est important de rappeler qu’en 2016, lors du lancement du Cronos Immo Fund, notre société disposait uniquement d’une licence de gestionnaire de placements collectifs (LPCC). À cette époque, du point de vue juridique, nous étions mandatés par la direction de fonds tierce pour gérer notre fonds immobilier, structuré sous la forme d’un placement collectif contractuel. Ce point est essentiel, car dans ce cadre, le promoteur n’a pas un contrôle direct sur le produit qu’il a pourtant lui-même lancé.
Pour les spécialistes du sujet c'est probablement évident, mais pour un béotien, ça change quoi ?
La situation est un peu problématique, pour trois raisons principales.
Le promoteur est lié par un mandat de la direction de fonds qui peut être résilié.
En cas de désaccord avec la direction de fonds, il est très difficile de transférer ce mandat à un autre prestataire. En effet, certains cantons imposent des droits de mutation sur les immeubles inscrits au nom de la direction de fonds pour le compte du fonds, ce qui peut rendre le transfert impossible ou extrêmement coûteux. Ces droits peuvent dépasser 3% de la valeur de chaque immeuble, une charge qui ne peut pas être répercutée aux investisseurs.
Contrairement aux fonds investis en valeurs mobilières, où un nouvel instrument peut être créé pour réallouer les investisseurs, la constitution d’un parc immobilier ne permet pas cette flexibilité. Il est donc impossible de transférer les investisseurs vers un autre produit.
Cette problématique ne se pose pas dans le cadre d’une structuration par SICAV mais les coûts de lancement et les frais récurrents sont plus élevées.
Donc, vous vouliez changer la situation ?
Notre objectif a rapidement été de reprendre le contrôle de notre propre fonds pour le gérer et le développer librement sur le long terme. En 2019, nous avons donc obtenu une licence de direction de fonds pour ne plus dépendre d’un prestataire externe et le fonds a été transféré, entrainant des frais de mutations non négligeables. À l’époque, la fortune du fonds était inférieure à CHF 100 millions et nous avons d’abord envisagé de continuer à sous-traiter certaines activités. Cependant, au fil du temps, nous avons progressivement internalisé l’ensemble des tâches, estimant que cette approche nous offrait davantage de flexibilité, de maîtrise et de réactivité.
Quels sont les avantages d'avoir cette direction de fonds interne par rapport à une direction de fonds externe ?
L’un des principaux avantages réside dans une meilleure coordination entre les différents départements. L’ensemble des intervenants dans la gestion du fonds dispose d’une vision globale, favorisant une compréhension plus fine de son fonctionnement, ce qui facilite la fluidité des processus et permet une gestion optimisée des risques et renforce la gouvernance du fonds. En outre, le fait que tous les intervenants soient regroupés en interne permet des échanges plus rapides et une disponibilité immédiate de l’information.
Concrètement, vous avez quelques exemples ?
J'en ai plusieurs ! Par exemple, lors des transactions immobilières, nous devons coordonner avec la banque dépositaire, les notaires, les partenaires financiers et la compliance. En ce qui concerne la consolidation comptable, cela implique des interactions avec les régies et les gestionnaires d’immeubles. Pour le suivi des critères de durabilité, nous centralisons les données ESG en collaboration avec les équipes dédiées. La gestion des travaux de construction nécessite un suivi des paiements et des flux financiers en lien avec les financements et les équipes en charge des constructions. De plus, la gestion de la liquidité et du financement est pilotée en interne pour offrir une meilleure réactivité. Et, pour finir, avec nos collègues de la gestion de fortune qui ont approfondi leur compréhension du processus d’apport en nature et sont désormais en mesure de mieux l’expliquer à nos prospects, faisant ainsi de cet accompagnement une de nos forces dans ce type de transactions
Y a-t-il aussi des inconvénients ?
Non, aucun inconvénient à notre échelle. Le modèle que nous avons mis en place fonctionne parfaitement, grâce à une organisation claire et des responsabilités bien définies, garantissant le respect des obligations réglementaires et un suivi rigoureux des risques. L’élément clé reste le respect strict de la séparation des responsabilités, indispensable à une bonne gouvernance.
Question coûts, quelle est l'option la plus intéressante ?
Le coût est effectivement un facteur à prendre en compte. Mais cela n’a pas été un facteur déterminant dans notre décision. Comme mentionné précédemment, notre principale motivation était d’assurer notre indépendance. L’objectif était avant tout de reprendre le contrôle de notre fonds, avec la capacité de couvrir nos frais dans cette logique d’autonomie.
Certains gérants assurent qu'en dessous d'une certaine taille, un fonds n'a pas le choix, il doit opter pour une direction de fonds externe.
En effet, c'est la solution la plus pertinente lorsque la masse administrée reste inférieure à un seuil critique. Cependant, dès lors que le fonds atteint une certaine taille, l’intégration des fonctions en interne peut offrir des avantages en termes de flexibilité, de maîtrise des coûts et d’alignement stratégique.
Et quelle est cette taille minimum ?
D’après mon expérience, en dessous de 400 à 500 millions de fortune nette (VNI), l’activité de direction de fonds n’est pas rentable uniquement sur la base des revenus récurrents. En revanche, au-delà de ce seuil, elle peut couvrir ses coûts et ceux des structures nécessaires, notamment grâce aux activités non récurrentes telles que la supervision et l’exécution des transactions (acquisitions et ventes d’immeubles) et les augmentations de capital, qui relèvent de sa responsabilité.
Chez Cronos, cette direction de fonds représente combien de personnes ?
Actuellement, pour un fonds immobilier dépassant un milliard de fortune immobilière sous gestion, et sans inclure la partie « compliance », la direction de fonds est composée de 4,5 équivalents temps plein. Dans une optique de développement et d’expansion, nous avons d’ores et déjà engagé une nouvelle personne afin d’accompagner sereinement nos prochains projets à venir.
Olivier Toublan • Immoday.ch