«Pour la FINMA, le crowdfunding c'est de l'investissement privé, qui n'est pas contrôlé»

«Pour la FINMA, le crowdfunding c'est de l'investissement privé, qui n'est pas contrôlé»

Interview 10 min Immoday.ch

Le crowdfunding immobilier se développe rapidement en Suisse, avec la promesse de rendements importants. Mais, pour beaucoup, si le principe des investissements est connu, ses subtilités juridiques ne le sont pas, tout comme la structure des sociétés de crowdfunding, leur stratégie, les opportunités et les risques de leur produit. On fait le point avec Olivier Klunge, avocat, spécialiste de l'immobilier titrisé.

Le crowdfunding immobilier se développe rapidement en Suisse, entre autres grâce à la promesse d'un rendement bien supérieur à celui des véhicules d'immobilier titrisé classiques, grâce à l'effet de levier permis par un endettement qui peut monter jusqu'à 80%. Avec cependant un risque important pour les investisseurs entre autres parce que ce genre d'investissement n'est pas régulé par la Finma, pour qui c'est simplement de l'investissement privé. Nous avons posé la question à Olivier Klunge, avocat, associé chez Bourgeois Avocats et grand connaisseur de l'immobilier titrisé, puisqu'il a été partenaire fondateur de Fundim et qu'il est membre du comité directeur de COPTIS, l'Association suisse des professionnels en titrisation immobilière.

Olivier Klunge, quel est le statut juridique des sociétés de crowdfunding ? Leur activité demande-t-elle une autorisation de la FINMA ?

Non, elles n'ont pas besoin d'une régulation de la FINMA, pour qui ces activités sont uniquement de l'investissement privé. Ces sociétés de crowdfunding n'ont pas besoin non plus d'une banque dépositaire ou d'une structure de contrôle comme le serait une direction de fonds pour un véhicule de placement immobilier, ni même de publier leurs comptes. C'est vraiment une structure très légère et l'investisseur n'a pas d'autres garanties que celles données par la société elle-même.

Néanmoins ce n'est pas un miroir aux alouettes, puisque l'investisseur investit vraiment dans la pierre.

En effet, des sociétés de crowdfunding comme Foxstone proposent de l'investissement direct dans l'immobilier, c'est-à-dire que les porteurs de part sont inscrits au registre foncier comme propriétaires du bien immobilier, ce qui est une certaine forme de protection. Pour d'autres sociétés, comme Sipa Crowd Immo, c'est plus complexe puisqu'une société immobilière est créée pour l'occasion. Elle est juridiquement propriétaire de l'immeuble et les investisseurs ne possèdent que des actions dans cette société. Il y a donc moins de garantie, puisqu'on n'est pas directement propriétaire de l'immeuble.

Les rendements proposés par ces sociétés de crowdfunding sont très élevés, entre 4% et 8%. Est-ce réaliste ?

Contrairement à ce qu'on pourrait penser, il n'est pas impossible pour ces sociétés d'atteindre les rendements promis, puisqu’elles peuvent s'endetter fortement. C'est la grande différence avec les fonds de placement immobilier, dont le taux d'endettement est limité à 30% par la FINMA (taux que les fonds atteignent d'ailleurs rarement, puisque la moyenne tourne plutôt autour de 20%). Les sociétés de crowdfunding, elles, n'ont pas ce genre de contraintes, elles peuvent donc sans problème avoir des taux d'endettement qui grimpent jusqu'à 70% ou 80%, exactement comme un emprunteur hypothécaire privé. Ce qui, au final, permet évidement de générer de meilleur rendement pour les investisseurs, grâce à l'effet de levier.

Mais cela veut aussi dire que les risques sont plus importants.

Bien entendu, l'effet de levier joue dans les deux sens, et c'est bien pour ça que la FINMA limite le taux d'endettement des fonds immobiliers, pour protéger les petits investisseurs. Car si le bien dans lequel vous avez investi perd une fraction de sa valeur, à cause de l'effet de levier, l'investisseur va perdre une grande partie de son investissement. Par exemple, avec un taux d’endettement de 80%, une baisse de 5% de la valeur de l’immeuble signifie une perte d’un quart de l’investissement.

Ce n'est cependant qu'un risque très théorique, puisque, sur le long terme, l’immobilier de gagne toujours de la valeur.

C'est en effet l'argument des sociétés de crowdfunding. Et, effectivement, ce risque de perte est historiquement faible, en tout cas sur un investissement à long terme. Mais il n’est pas inexistant, y compris pour l'immobilier résidentiel. En 2023, il a d'ailleurs perdu de sa valeur dans certains cantons périphériques. En outre, si l'immobilier suisse a globalement bien résisté aux turbulences ces dernières années, ça n'a pas été le cas pour plusieurs de plusieurs pays voisins où les chutes ont été importantes. Bref, rien ne garantit que, sur le long terme, l'immobilier continue de gagner de la valeur.

C'est d'autant plus risqué que les sociétés de crowdfunding ne proposent pas de diversification.

En effet. Investir dans un fonds de placement qui possède plusieurs dizaines voire plusieurs centaines d'immeubles permet de diversifier les risques, ce qui n'est pas le cas avec une société crowdfunding, où l'investissement se limite à un seul bien immobilier. Par exemple, un accident comme un incendie ou des infiltrations de façade peuvent affecter la valeur du bien, tout comme un locataire en défaut de paiement. Par contre, cela peut aussi être un avantage puisque l'investisseur peut aller visiter son futur bien, l'apprécier, et donc investir en toute connaissance de cause.

Les taux hypothécaires sont aujourd'hui très bas, mais que se passerait-il si, au prochain refinancement, les charges hypothécaires augmentent ? Qui va devoir payer ?

L'augmentation des charges va d'abord impacter le rendement. Mais, effectivement, on pourrait se retrouver dans un cas où les revenus locatifs ne suffisent plus à payer les charges hypothécaires, par exemple s'il y a beaucoup de vacance. Dans ce cas, ce serait aux investisseurs, qui sont juridiquement copropriétaires, de remettre la main au pot. Avec une question qui se pose: sont-ils solidairement responsables ? C'est-à-dire si une partie des copropriétaires ne peut pas payer, les autres doivent-ils payer à leur place ?

Les achats sont-ils limités aux immeubles ou pourraient-ils aussi concerner des projets immobiliers non encore réalisés ?

Comme il n'y a pas de régulation, les sociétés de crowdfunding peuvent aussi proposer des projets, mais dans ce cas, pour les investisseurs, les risques sont bien évidemment démultipliés.

Juridiquement, comment ça se passe ? La société de crowdfunding achète un bien et le revend ensuite au porteur de part ?

En général la société de crowdfunding obtient une promesse de vente mais n'achète pas directement l'immeuble, ne serait-ce que pour limiter les droits de mutation. Ce sont les investisseurs privés qui achètent directement l'immeuble, dont ils seront les propriétaires, inscrits au registre foncier. Sauf si la société de crowdfunding crée une société immobilière. Dans ce cas cette société sera propriétaire de l'immeuble et les investisseurs actionnaires de la société immobilière.

Comment ça se passe du côté des banques ? Chaque porteur de part est-il considéré comme un emprunteur hypothécaire séparé ?

Quand c'est une société immobilière qui achète, la banque fait un prêt hypothécaire à cette société. Et quand c'est une poignée de petits investisseurs, la banque fait un prêt à l'ensemble de la communauté hypothécaire, et non pas à chaque investisseur séparément, ce qui serait très compliqué du point de vue administratif et donc très cher.

Ensuite, qui gère cet immeuble ?

C'est la société de crowdfunding, cela fait partie de son contrat. Les investisseurs lui délèguent tout ce qui est décision technique et d'entretien. En conséquence, il peut être compliqué de connaître la manière dont la société gère vos immeubles, le droit de regard des investisseurs sur la société étant très limité.

Quelles sont les commissions touchées par les sociétés de crowdfunding ?

Il n’y a pas beaucoup de transparence sur ce point, en tout cas dans les documents disponibles pour le public. D'autant plus qu'il existe, d'une part, les commissions directement facturées par la société de crowdfunding et par la banque qui accorde le prêt hypothécaire, mais aussi, d’autre part, de probables commissions indirectes. Par exemple, on ne sait pas à quel prix la société a acheté le bien qu'elle va revendre aux investisseurs. Il n'y a pas de transparence non plus sur la commission de gestion de l'immeuble ni sur le courtage.

Comment se négocient les parts si on veut les revendre ?

Les sociétés de crowdfunding n’ont aucune obligation légale sur ce point, pas même celle de tenir un marché secondaire. Notons quand même que certaines, comme Foxstone, ont ouvert un site internet sur lequel les investisseurs peuvent proposer la vente de parts. Ce sont donc des transactions de gré à gré, sans garantie. C'est très différent des obligations imposées aux fonds de placement: soit ils sont cotés en bourse, soit ils ont l'obligation d'entretenir un marché secondaire, en général via la banque dépositaire. Sans oublier que l'investisseur a le droit d'exiger le rachat de sa part, à la VNI, à intervalles réguliers, ce qui n'est pas le cas pour les sociétés de crowdfunding.

Quelle est la différence entre une société de crowdfunding qui vend un projet immobilier ou un immeuble et une SCmPC ?

Certes il y a un aspect commun, l'investissement collectif et la gestion déléguée à une société tierce. Mais les différences sont nombreuses et essentielles. D'abord, une SCmPC est réservée aux investisseurs qualifiés et la société est contrôlée par la FINMA. Ensuite la SCmPC à une durée limitée : elle ne va faire que du développement immobilier ce qui implique de la création de valeur par une construction, puis sa vente à la fin du projet. Alors qu'une société de crowdfunding investit sur le long terme, dans un immeuble déjà construit.

Pour terminer, pour un investisseur privé, en quoi une société de crowdfunding est-elle plus intéressante qu'un fonds de placement immobilier ?

Essentiellement par le rendement que cet investissement peut générer. On peut d'ailleurs se demander si, sur ce point, la Finma ne veut pas trop protéger les investisseurs, avec comme conséquence des rendements plus faibles. On peut très bien imaginer que les autorités financières permettent à certains véhicules d'investissement immobiliers, y compris ouverts au public, de s'endetter plus, pour générer un revenu supplémentaire pour ses investisseurs, étant entendu que ces derniers sont parfaitement au courant des risques qu'ils prennent. Cela dit, la publicité des sociétés de crowdfunding ne semble pas transparente sur le levier pratiqué et le risque lié.

Rédaction • Immoday.ch

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