
L’hôtellerie et la para-hôtellerie à la montagne dégagent des profits certes moins lucratifs à court terme que la vente de résidences secondaires, mais ils assurent un rendement attractif sur le long terme. C'est une catégorie immobilière qui devrait intéresser les investisseurs cherchant à se diversifier. Mais attention, tous les projets ne tiennent pas leurs promesses.
Fin janvier, des investisseurs locaux ont annoncé un énorme projet touristique dans la vallée de Conches, en Valais, avec des investissements qui se monteraient à 100 millions de francs. A San Bernardino, dans les Grisons, ce sont plus de 300 millions qui sont en train d’être injectés dans un complexe touristique. Sans oublier le fameux Andermatt, où, depuis 20 ans, plus de 1,5 milliards de francs ont été investis.
Pourtant, on nous serine jour après jour que l'avenir de la plupart des stations est plombé à cause du réchauffement climatique. Ce qui ne devrait pas inciter les investisseurs à miser sur l'immobilier à la montagne. Alors qu'en est-il ? Pari rentable, diversification intéressante ou miroir aux alouettes? Nous avons posé la question à un spécialiste du sujet, Philippe Lathion, expert-comptable diplômé, pendant 20 ans président des remontées mécanique Télénendaz, et initiateur, en 2011, du fonds immobilier Mountain Resort Real Estate Fund Sicav.
Philippe Lathion, quelle est la stratégie d'investissement de votre fonds, Mountain Resort Real Estate Fund Sicav?
Notre fonds se concentre sur le financement ou l’acquisition de résidences de tourisme sur tout l’arc alpin suisse. On entend par résidences de tourisme ou « Resort », des appartements destinés exclusivement à la location touristique, regroupés autour d’une réception, de prestations communes comme un restaurant, un magasin de sport, ou un spa et commercialisés via tous les réseaux de distribution nationaux et internationaux sous une marque forte, en l’occurrence Swisspeak Resorts. Ce type d’hébergement touristique, idéal pour les familles, est très répandu chez nos voisins européens mais est plus récent en Suisse.
Comment expliquer les nombreux projets de développement immobiliers annoncés dans les Alpes suisses ces dernières semaines?
Le marché immobilier à la montagne possède un réel potentiel. Mais on parle ici du marché de la vente et de la revente de résidences secondaires, à ne pas confondre avec l’hôtellerie et la para-hôtellerie. Avec l’adoption de la LRS (Lex Weber), le nombre de nouvelles résidence secondaire s’est raréfié alors que la demande est toujours soutenue. Du coup, les prix de vente au m2 ont pris l’ascenseur. En revanche, l’hôtellerie et la para-hôtellerie dégagent des profits bien moins lucratifs à court terme, mais assurent un rendement attractif sur le long terme, ce qui explique pourquoi ce produit correspond plus aux attentes des investisseurs institutionnels.
A contrario, après quelques années, on se rend compte que plusieurs de ces projets ne tiennent pas toutes leurs promesses financières.
Comme il n’est pratiquement plus possible de construire des résidences secondaires dans la plupart des destinations suisses, les nouveaux projets sont souvent des complexes comprenant des hôtels, des résidences de tourisme et/ou des résidences principales. Pour que de tels projets voient le jour il faut que trois conditions soient réunies. Un prix du foncier raisonnable qui soit supportable en louant les lits construits et pas en les vendant, un ou des investisseurs non spéculatifs souhaitant obtenir un revenu récurent sur le long terme et enfin un exploitant bénéficiant du réseau de distribution et d’une connaissance approfondie du marché de la vente de séjours touristiques, pour louer ces lits sur toute l’année. Beaucoup de projets échouent, parce que l’une de ces trois conditions n’est pas remplie.
On assure que la plupart des stations de montagne vont rencontrer des problèmes d'enneigement ces prochaines années. Pour des investisseurs qui misent en général sur le très long terme, n'est-ce pas rédhibitoire?
Pas du tout. Tous les acteurs touristiques vous le diront, la montagne contrairement à la mer, est attractive en hiver et de plus en plus en été aussi. Notre stratégie est donc d’investir dans des resorts situés dans des destinations en altitude pour garantir la saison d’hiver, mais aussi dans des stations de plus basse altitude pour favoriser la saison d’été. En effet, si une station se trouve à 1800 mètres, la neige est garantie mais la saison d’été va commencer beaucoup plus tard, la neige tardant à fondre, que si elle se situait à plus basse altitude. Pour illustrer ce contraste, nous réalisons pratiquement le même chiffre d’affaires à Zinal qu’à Meiringen, mais avec des proportions inversées entre la saison d’hiver et d’été.
Revenons sur le Mountain Resort Real Estate Fund Sicav. Quelle est actuellement la composition de son portefeuille immobilier ?
Le fonds est actuellement propriétaire de cinq resorts situés à Brigels dans les Grisons, à Meiringen dans l’Oberland Bernois, à Zinal, à Vercorin et à Thyon en Valais. Nous travaillons aussi sur une bonne dizaine d’autres projets.
Et quelle est sa VNI?
Actuellement le total de l’investissement dans ces cinq resorts est de 188 millions de francs et le fonds pèse un peu plus de 118 millions de francs. Le taux d’endettement est donc relativement bas, à savoir environ 37 %, mais la FINMA n’autorise pas un endettement plus élevé.
Vous investissez essentiellement dans des nouveaux projets.
Nous le faisons par défaut car il y a peu de resorts existants qui corresponde à nos attentes. Nous avons élaboré une grille comparative des destinations basée sur leur offre pour définir leur attractivité touristique et le niveau de prix à appliquer pour les locations. Pour qu’un projet soit intéressant, il faut que la destination réponde à nos critères en termes d’offre et que le prix total du terrain plus le coût de la construction n’excède pas la valeur actuelle des revenus futurs provenant de la vente de séjours touristiques.
Qui sont vos investisseurs ? Plutôt des privés ou plutôt des institutionnels?
Principalement des institutionnels, mais nous avons aussi la chance de compter parmi nos investisseurs des family office et des privés.
Vous proposez pourtant une niche d'investissement très particulière, assez éloignée de ce qui plaît en général aux institutionnels.
L’hébergement touristique présente l’avantage de ne pas être corrélé à l’évolution des taux d’intérêts, mais dépend d’un marché touristique dont la demande n’a jamais faibli jusqu’ici, permettant d’assurer une rentabilité récurrente avec la sécurité d’un sous-jacent immobilier. C’est donc assez proche d’un produit immobilier commercial classique.
Votre dividende offrait un rendement de 1,91% l'année dernière, soit assez nettement en dessous de la moyenne des fonds immobiliers non cotés, qui était de 3,18%. Est-ce suffisant pour satisfaire vos investisseurs ?
Le fonds a réalisé son premier investissement il y a sept ans et est donc toujours en phase de lancement. Chaque nouveau resort financé par le fonds permet d’amortir les coûts fixes liés à la compliance, qui sont assez élevé. Avec l’ouverture cette année du resort de Thyon et l’agrandissement de celui de Brigels, nous devrions dès 2026 nous rapprocher déjà de la moyenne de taux que vous annoncez.
Quelle serait, selon vous, la taille critique de votre fonds?
Il nous faudrait acquérir encore deux resorts, soit une taille de 200 millions de francs suisses. Nous espérons l'atteindre dès 2027.
Vous avez lancé, à la fin de l'année dernière, une augmentation de capital qui n'a pas complètement atteint ses objectifs. Que s'est-il passé ?
Nous avons effectivement lancé en fin d’année une levée de fonds. Pour des raisons purement réglementaires nous avons dû convertir en capital une première tranche au 31 décembre 2024 et nous poursuivons le processus de levée de fonds pour le finaliser en 2025. Nos objectifs restent donc d’actualité.
Est-ce que à terme, une IPO est envisageable?
C’est un objectif à moyen terme.
Olivier Toublan - Immoday.ch