Jean-Jacques Morard, CEO de la régie de Rham: «Une bonne régie permet au propriétaire de maximiser la performance financière de son immeuble»

27/09/2023

Olivier Toublan

de Rham

5 min

Choisir une régie seulement sur le critère des honoraires, comme le font désormais certains propriétaires, c'est prendre le risque d'avoir affaire à une structure moins compétente, et donc de se priver de la possibilité d'optimiser le rendement de ses immeubles. Les explications de Jean-Jacques Morard, CEO de la régie de Rham.

 

Les temps sont durs pour les régies immobilières, avec une pression de plus en plus importante de la part des propriétaires sur les honoraires de gérance. Ce qui a contraint les régies à revoir à la baisse leur chiffre d’affaires, entraînant pour ces dernières des manques à gagner parfois importants. 
 

Voilà qui pourrait a priori être perçu comme une bonne décision de gestion de la part des propriétaires. Pourtant, cette pression sur les honoraires se révèle en fait un mauvais calcul à long terme. 
 

C'est du moins l'avis de Jean-Jacques Morard, CEO de la régie de Rham, l’une des plus importantes et des plus anciennes de Suisse romande. Il s'exprime ici aussi comme vice-président du SVIT Suisse, l’association suisse de l’économie immobilière, qui défend, entre autres, les intérêts des régies. 

 

Jean-Jacques Morard, vous regrettez la pression des propriétaires institutionnels sur les gérances mais c'est de bonne guerre, non ? Tout le monde fait pression sur ses fournisseurs.
 

En effet, nous avons constaté, ces derniers temps, une énorme pression de la part des propriétaires institutionnels sur les tarifs. Ce qui leur permet, certes, de faire des économies à court terme, mais, sur le long terme, c'est un mauvais calcul de leur part.

 

Vraiment ?
 

Une réduction des honoraires va immanquablement avoir, un jour ou l'autre, un impact sur la qualité des services, et donc sur la gestion et l'entretien des immeubles. Ce qui, finalement, aura également un impact sur la valeur du parc immobilier. Bref, sur le long terme, ces économies pourraient se révéler délétères. D'autant plus pour des investisseurs institutionnels qui, en général, veulent conserver leur parc en bon état sur le très long terme, et qui doivent donc l'entretenir avec soin pour ne pas que sa valeur s'étiole.

 

Quelle est la structure traditionnelle de vos honoraires ?
 

Les fonds immobiliers confient, en règle générale, la gestion de leur parc à une société de direction de fonds, qui touche un «fee» pour ses activités. Il tourne autour de 6% des revenus locatifs et doit couvrir la totalité des frais de gestion des immeubles. Pendant longtemps, ce «fee» a été attribué environ pour deux tiers à la gérance, étant donné le niveau de nos charges et un besoin important de main d'œuvre pour effectuer nos tâches de gestion des immeubles. Le reste revenait à l'équipe de direction de fonds, une structure plus légère qui s'occupe essentiellement de la gestion financière du parc et qui donc, de ce fait, a moins de charges que nous, la régie.

 

Et donc, cet équilibre a changé ?
 

Effectivement, aujourd'hui les directions de fonds cherchent à augmenter leur propre «fee», ce qui passe immanquablement par la diminution de celui des gérances. Le problème, c’est qu’à un moment donné, nous n'arriverons plus à couvrir nos frais, et nous pourrions devoir refuser des mandats.

 

En regrettant cette pression sur vos honoraires, vous prêchez pour votre paroisse, rien d'étonnant.
 

Pas seulement. Pour nous, l'approche de ces propriétaires est d'autant plus incompréhensible que ce n'est pas en réduisant nos honoraires que l'on fera vraiment des économies. Au contraire, nous sommes convaincus qu'un bon gérant peut doper le rendement d'un immeuble, en agissant à la fois sur les revenus et sur les charges. Mais pour cela il faut que les collaborateurs de la gérance, qui s'occupent concrètement et physiquement des immeubles, soient motivés, bien formés, et compétents. Ce qui implique qu'il faut les former et les payer correctement. 

 

Par exemple, que peut apporter un bon gérant ?
 

Commençons par les revenus, essentiellement les loyers. Un collaborateur qualifié d'une régie possède toutes les connaissances nécessaires pour valoriser l'état locatif d'un bâtiment, au maximum de son potentiel.

 

D'accord, mais concrètement ?
 

Par exemple, un bon gérant est sensibilisé à l'évolution du marché. Ce qui lui permet à chaque fois qu'un bien se libère, d'optimiser son loyer, peut-être après une légère rénovation. Voilà qui permet d'éviter des manques à gagner pour le propriétaire. Évidemment, ça demande plus de travail que de simplement proposer le bien à la location sans changer son loyer. En outre, un bon gérant s'attachera à une gestion proactive des biens, pour éviter les périodes de vacance. Par exemple en agissant sans attendre dès la notification d'une résiliation de bail. Car plus la vacance entre deux locataires est longue, plus la diminution du revenu locatif est importante. 
 

 
Et du côté des charges ?

 

On sait que les charges s'élèvent entre 15% à 25% du revenu locatif, selon la nature et l'âge de l'immeuble. En les optimisant, il est possible de faire des économies importantes. Un bon gérant va analyser de manière régulière les charges d'un immeuble pour les optimiser et éviter le coulage. 

 

Là encore, concrètement, ça signifie quoi ?
 

Par exemple quand un même problème survient de manière récurrente, un bon gérant va chercher la source de ce problème, pour le régler de manière définitive. Un gérant moins impliqué, va simplement mandater à chaque fois un réparateur. Un bon gérant va toujours se demander s'il faut simplement entretenir et réparer, ou si, au contraire, il faut intervenir de manière plus drastique. Dans ce cas, il va aussi gérer avec attention les appels d'offres, pour ne pas dépenser inutilement l'argent du propriétaire. 

 

Je comprends bien vos arguments, mais, à la fin, réparer ou changer une machine à laver dans la buanderie, ça ne va pas entraîner des économies importantes pour le propriétaire. 
 

N’oubliez pas que les petits ruisseaux font les grandes rivières. Nous avons actuellement 21'000 objets locatifs, nous signons chaque année entre 2'500 et 3'000 nouveaux baux. Ce qui fait beaucoup de petits ruisseaux, et un potentiel d'optimisation des revenus vraiment important, qui se chiffre, au final, en millions de francs.

 

Avec les nouveaux systèmes de gestion, vous pouvez être plus efficace avec moins de personnel qu'avant. Est-ce que cela ne justifie pas de votre part une diminution de vos honoraires ? 
 

C'est en effet l'argument des propriétaires institutionnels. Ils estiment qu'avec les nouveaux outils de gestion mis en place, il est possible de réduire le personnel. Mais il ne faut pas oublier que ces nouveaux systèmes nous obligent, parallèlement, à engager des spécialistes, qui coûtent beaucoup plus cher. À la fin, nous allons peut-être employer moins de monde, mais il n'y aura pas vraiment de gain au niveau de la masse salariale. C'est d'autant plus vrai que certains de nos clients institutionnels obligent désormais les gérances à travailler avec leur propre système interne de gestion. À priori, ce n'est pas un problème, mais cela nécessite de notre part de former nos équipes à des systèmes différents, ce qui, à nouveau, prend du temps, demande des compétences particulières et coûte de l'argent.

 

C'est un discours que les propriétaires institutionnels entendent ?
 

Nous cherchons à faire comprendre à nos clients qu'une répartition équilibrée des «fees», qui correspond au travail réellement effectué par chacun, est indispensable si l'on veut continuer d'avoir des prestations de qualité, qui ont un double effet positif pour le propriétaire, avec, d'une part, une augmentation des revenus et, d'autre part, une diminution des charges. Espérons que nos partenaires entendront nos arguments. Car, finalement, un bon gérant va toujours être attentif à défendre les intérêts du propriétaire, à ne pas mettre en péril le bon fonctionnement de l'immeuble, et donc à en augmenter sa valeur.

Olivier Toublan - Immoday.ch