Gaston Brandes de Franklin Templeton: «Investir dans le social, ça peut être vraiment rentable»

26/07/2023

Olivier Toublan

Immoday

4 min

En Suisse, malgré la multiplication des fonds d'investissement immobiliers thématiques ces dernières années, le social reste un peu le parent pauvre du secteur. Et pourtant, assurent ceux qui s'y sont lancés, il est possible à la fois d'avoir un impact social et un rendement financier similaire à celui de l'immobilier classique. Les explications de Gaston Brandes, de Franklin Templeton.
 

Dans l'immobilier en général et les fonds immobiliers en particulier, les contraintes ESG sont à la mode, en Suisse comme ailleurs. Mais, le plus fréquemment, on parle seulement du "E", l’impact énergétique, et la manière dont on pourrait améliorer la trace carbone des immeubles. On oublie souvent le "S", l'impact social de l'immobilier. C'est justement sur ce "S" que se concentre le Franklin Templeton Social Infrastructure Fund (FTSIF). Un fonds ouvert, basé  au Luxembourg, non coté, qui investit dans des actifs immobiliers à vocation sociale, au sens large, avec comme objectif de contribuer à bâtir des communautés solides.

Entretien avec Gaston Brandes, head institutional portfolio manager Europe, spécialisé dans l’immobilier, un des responsables de ce fonds.

Gaston Brandes, quelle est la stratégie du Franklin Templeton Social Infrastructure Fund?

 

Le fonds, lancé en 2018, investit, comme l'indique son nom, dans des infrastructures sociales, par exemple, les établissements de santé et d'enseignement, les logements sociaux et abordables et les bâtiments liés à la justice, aux services d'urgence et aux services civiques.
 

Et géographiquement ?

 

Ce sont essentiellement des actifs situés dans ou autour de grandes communautés urbaines de la zone Euro, de la Scandinavie et du Royaume-Uni.

 

Pourquoi avez-vous lancé ce fonds ?

 

Cela faisait suite à une demande d’investisseurs néerlandais, qui avaient déjà des actifs dans l’immobilier social aux Pays-Bas, mais qui voulaient diversifier leur portefeuille, avec une approche plus internationale.
 

Quels sont vos objectifs avec ce fonds ?

 

Nous avons un double objectif, qui consiste à offrir un rendement immobilier conforme au marché tout en ayant un impact social et environnemental, qui puisse être concrètement mesuré. La crise du Covid-19 a rendu les gens plus conscients du manque de financement adéquat pour les infrastructures sociales en Europe. Selon une étude réalisée par la High Level Task Force de l'Union européenne en 2018, il manque, chaque année, environ 150 milliards d’euros pour les infrastructures sociales rien qu'en Europe. Le problème, c'est qu'il n'y a tout simplement pas assez d'argent public disponible et les capitaux privés, tels que ceux fournis par notre fonds, ont un rôle clé à jouer à long terme aux côtés des capitaux publics.
 

Vous parlez de création de valeur sociale. En quoi est-ce important ?

 

C’est essentiel, pour la société dans son ensemble. Prenons quelques exemples concrets. Les investissements dans les infrastructures sociales peuvent contribuer à la croissance économique locale ainsi qu'à la santé, à la sécurité et au bien-être des communautés locales. Ils peuvent contribuer à fournir une éducation de qualité aux jeunes et aux adultes, ainsi qu'un logement abordable et accessible aux personnes à faible revenu, aux familles, aux étudiants, aux personnes âgées et aux travailleurs essentiels.

 

Cet impact social, c’est bien, mais qu’en est-il de l’impact environnemental ? N’est-il pas lui aussi important ?

 

Pour nous, l’un ne va pas sans l’autre. Et même si l’impact social est notre priorité, nous ne négligeons pas pour autant l’impact environnemental de nos investissements.

 

Ce n’est pas du greenwashing ?

 

Nous avons mis en place notre propre rating pour déterminer l'impact environnemental de nos investissements, et nous faisons appel à plusieurs organisations externes et indépendantes pour vérifier nos dires. Par exemple, c’est la troisième année de suite que nous décrochons une étoile verte de la part du GRESB, le label ESG le plus important au monde pour l’immobilier et les infrastructures. Pour l’exercice 2022, nous avons obtenu la note de 80, ce qui est nettement mieux que la moyenne qui était de 71.

 

Vous assurez aussi suivre les objectifs de développement durable des Nations-Unies.

 

En effet, notre approche contribue à sept des objectifs de développement durable des Nations unies, à savoir la santé et le bien-être ; un enseignement de qualité ; une eau propre, disponible pour tous ; une énergie propre et abordable ; un travail décent et une croissance économique soutenue, partagée et durable ; des villes et des communautés durables, ouvertes à tous ; et finalement, les objectifs de paix et de justice, avec des institutions solides.

 

Combien avez-vous d'objet dans votre portefeuille immobilier actuellement ?

 

Au 31 mars 2023, le fonds possédait portefeuille diversifié dans huit pays, avec un total de 29 actifs et des engagements en fonds propres de 782 millions d’euros de la part de 35 investisseurs. Nous sommes sans cesse à la recherche de nouveaux biens, et nous faisons régulièrement de nouvelles acquisitions.
 

Concrètement, donnez-nous quelques exemples d'investissements?

 

La grande majorité de nos objets sont répartis dans trois secteurs, le médical, l'éducation et le logement. Par exemple, un centre de soins de santé dans le Grand Milan, une maison de soins avec foyer pour infirmières sur l'île du Lido à Venise. Ou encore une résidence étudiante à l'université de Nottingham, au Royaume-Uni. Nous avons aussi un des plus grands hôpitaux privés du Danemark, une école spécialisée pour les enfants aux besoins spécifiques à Londres ou du logement social, à Dublin, en Irlande.
 

Et comment choisissez-vous ces actifs?

 

Nous avons à notre disposition une équipe d’experts, qui fait une analyse poussée de chaque actif avant son acquisition, pour savoir à quel point il contribue ou pourra contribuer au développement et au bien-être de la communauté. Sans oublier son impact écologique, dont nous avons parlé, qui est également analysé. Ajoutons que chaque objet dans lequel nous investissons doit avoir un impact social concret et mesurable. Nous ne voulons pas rester dans les belles paroles.
 

Cet argumentaire arrive-t-il à convaincre les investisseurs ?

 

Actuellement, 35 investisseurs institutionnels issus de neuf pays nous font confiance. Pour l’heure aucun en Suisse, mais nous sommes en pourparlers avec les investisseurs de votre pays. C'est que non seulement nous leur proposons d'investir dans des objets immobiliers qui ont un réel impact social et environnemental, mesurable, concret, mais qui affichent aussi des performances financières similaires à ceux d'objets immobiliers traditionnel. Toute la difficulté est dans bien entendu de sélectionner des objets immobiliers qui répondent à ces deux critères. Mais nous sommes intimement convaincus qu'il est tout à fait possible d'avoir à la fois un impact social et une performance financière attractive, comme cela a été le cas pour nous au cours des quatre dernières années.
 

C'est un peu la quadrature du cercle, non?

 

Pas vraiment. Lorsque nous analysons la situation actuelle du marché des infrastructures sociales en Europe, nous constatons que cette classe d'actifs présente de nombreux atouts. Beaucoup d'investissement qui permettent d'améliorer l'environnement social ou écologique, créent à court ou à long terme de la valeur, qui se reflète dans la croissance de la valeur des actifs, et dans des dépenses opérationnelles plus faible. Par ailleurs, nous sommes convaincus que l'environnement actuel peut offrir des points d'entrée très intéressants pour les investissements susceptibles de fournir soit un flux de trésorerie stable à long terme, soit d'excellentes opportunités de création de valeur par le biais du développement et de la rénovation.

 

Vraiment ?

 

Nous investissons dans des actifs qui fournissent des services de santé, d'éducation, de logement abordable, de services civils et de sécurité publique. La demande de ces services est constamment supérieure à l'offre et, contrairement à d'autres secteurs immobiliers tels que les bureaux, le commerce de détail ou l'hôtellerie, leur caractère essentiel persiste quelle que soit la phase du cycle économique, ce qui les rend historiquement moins volatiles et plus résistants. En outre, comme le montrent nos analyses, le déficit d'investissement dans les infrastructures sociales est persistant, donc le risque de surabondance de l'offre est faible. Pour toutes ces raisons, nous estimons que les infrastructures sociales peuvent être moins sensibles aux fluctuations des prix du marché.
 

Les résultats sont-ils au rendez-vous ?

 

Depuis notre création, en 2018, nous avons réalisé un rendement global net de frais de 6,2 % par année. Ce qui est dans nos objectifs. En outre, le portefeuille a prouvé sa nature défensive durant le Covid ainsi que, plus récemment, dans un environnement de hausse des taux d'intérêt et d'inflation. De plus, avec une durée moyenne pondérée des baux (WALT) de plus de 13 ans, le fonds offre aux investisseurs des revenus à long terme pérennes et prévisibles.

 

L'inflation ne va pas vous poser de problème ?

 

A priori ça ne devrait pas être le cas. En effet, 91 % de nos baux sont indexés à l'inflation, y compris pour le logement social. Ce qui signifie que les revenus locatifs augmentent avec les prix.
 

Quelle est la liquidité du fonds ?

 

Nous sommes un fonds ouvert, non coté, et qui n’a pas l’intention d’être coté. Les investisseurs peuvent racheter leurs parts du fonds sur une base trimestrielle.
 

Quels sont les projets de développement du fonds ?

 

Notre équipe suit chaque trimestre des transactions immobilières d’une valeur moyenne d’environ un milliard d’euros. Évidemment, toutes ne nous intéressent pas et toutes ne répondent pas à nos critères, mais cela indique que le marché sur lequel nous nous concentrons est assez vaste. N'oublions pas que nous avons une stratégie paneuropéenne qui s’intéresse à cinq secteurs.  

 

Avec, à terme, quel objectif de taille ?

 

Nous aimerions avoir un portefeuille d’actifs de 2 milliards à 2,5 milliards d’euros dans les 3 à 5 ans qui viennent. Ce qui serait une bonne taille pour un fonds immobilier européen.
 

 Olivier Toublan